Chroniques

par emmanuel andrieu

Пиковая дама | La dame de pique
opéra de Piotr Tchaïkovski

Gran Teatre del Liceu, Barcelone
- 25 juin 2010
Micha Didyk et Ewa Podles dans La dame de pique de Tchaïkovski à Bardelone
© antoni bofill

Décidément, le Liceu paye de malchance avec cette production de La dame de pique signée Deflo, créée ici même en 1992 : lors de la reprise de 2003, l'infatigable et illustre ténor espagnol Plácido Domingo avait déclaré forfait au dernier moment, au grand dam de spectateurs venus du monde entier (dont le rédacteur de ces lignes). Las ! C’est au tour de Ben Heppner (pour qui c'était une prise de rôle) de jeter l'éponge, lui aussi quelques jours avant la première. C'est donc Micha Didyk qui endosse les habits du héros pouchkinien, le ténor ukrainien étant déjà sur place pour une version de concert du Joueur de Prokofiev. Nous ne reviendrons pas sur sa prestation tant vocale que scénique, celle-ci ayant déjà été critiquée par nos soins tout récemment [lire notre chronique du 9 mai 2010]. Signalons juste que Didyk nous a semblé (émulation oblige ?) dans une forme plus olympique encore que dans la capitale des Gaules, récoltant un triomphe amplement mérité.

Nous ne serons pas aussi élogieux vis à vis du soprano Emily Magee qui, après Guryakova, paraît bien pâle. La voix est limitée, tant en terme de projection que de puissance, et jamais l'actrice donne l'impression d'être impliquée dans le drame. Le mezzo-soprano russe Elena Zaremba semble hors propos dans le rôle de Pauline, avec une voix bien trop grave, un vibrato encombrant et des notes poitrinées à l'excès. Le Tomsky de Lado Ataneli est fort convaincant, avec une vocalité expressive et un jeu parfaitement crédible, truculent à souhait. Égal à lui-même, Ludovic Tézier délivre un chant prodigieux d'élégance et de noblesse en Prince Eletzki. Sa romance Я Вас люблю (Je vous aime…) est à pleurer, tout simplement.

La star de la soirée restera incontestablement le sublime contralto polonais Ewa Podles qui incarne une Comtesse magistrale, au charisme envoûtant et au chant souverain. Sinistre et effrayante, l'actrice glace maintes fois les sangs, d'un geste ou d'un regard. Après avoir délivré un intense et ineffable air de Grétry, sa mort prend acte de moment de théâtre proprement anthologique. Francisco Vas et Stefania Toczyska, enfin, dans les rôles respectifs de Tchekalinski et de la Gouvernante, complètent dignement l'affiche, et le Chœur maison s'avère irréprochable.

Avouons-le : après une distribution vocale en demi-teintes, la mise en scène de Gilbert Deflo tout autant que la direction musicale de Michael Boder laissent perplexe, et même déçoivent, tant l'ennui gagne tout au long de ces quatre heures de spectacle. À la décharge du premier, la production est datée, veillotte, pour ne pas dire rance, comme on n’en ose plus faire aujourd'hui. Certes, signés William Orlandi, les décors impressionnent, changeant à chaque tableau d'une production qui, à l'époque de sa création, coûta l'équivalent de quelques six cent mille euros ; mais nulle idée dramaturgique forte ne venant les animer, ils ne servent finalement que de cache-misère. On lui saura néanmoins gré d'avoir intégrer la Pastorale dont nous avions regretté l'absence dans la production de Peter Stein, même si la chorégraphie en est, là encore, surannée.

La baguette mollassonne de Michael Boder – qui désormais remplace le regretté Sebastian Weigle au poste de directeur musical du Liceu – n'arrange rien à l'affaire, incapable d'insuffler le moindre dramatisme à une partition qui n'en manque pourtant pas. Le chef allemand n'a de cesse d'étirer les tempi ; sous sa battue l'orchestre joue morne et plat. Le seul crédit à son actif est de savoir accompagner les chanteurs dans les airs lents, tels ceux d’Eletzki et de la Comtesse – deux moments de musique et de bonheur à l'état pur au sein d'une soirée par ailleurs bien terne.

EA