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Chroniques
Пиковая дама | La dame de pique
opéra de Piotr Tchaïkovski
Après avoir donné une fameuse trilogie Tchaïkovski/Pouchkine étalée sur trois saisons (débutée en 2006 avec Mazeppa et clôturée deux ans plus tard avec cette Dame de Pique), c'est le cycle complet que propose ce mois-ci l'Opéra national de Lyon, avec le même tandem qu'à l'époque : Kirill Petrenko à la baguette et Peter Stein pour la mise en scène.
Après les relectures psychiatriques de Lev Dodin à Paris [lire notre critique du DVD] ou d'Arnaud Bernard à Toulouse [lire notre chronique du 31 janvier 2008], pour citer les plus récentes productions de l'œuvre dans l'Hexagone, Peter Stein offre une lecture plus traditionnelle de l'ouvrage, fixant son attention et suivant à la lettre la nouvelle de Pouchkine (du moins autant que le permet le livret, adapté par Modest Tchaïkovski, le frère du compositeur). La direction d'acteurs de l'ex-intendant de la Schaubühne de Berlin s'avère d'une précision remarquable, tout y faisant sens, dans le geste intime autant que dans les déplacements de foule. Du premier jetd'il y a deux ans on lui saura gré d'avoir supprimé deux scènes Grand-Guignol qui avaient divisé la critique et consterné une bonne partie du public. Le seul reproche qu'on pourra faire au metteur en scène est d'avoir (comme c'est malheureusement quasiment toujours le cas) supprimé la superbe Pastorale d'inspiration mozartienne, La bergère sincère qui, au vu de sa lecture de facture classique, se serait pourtant parfaitement intégrée à la production lyonnaise.
De leur côté, les décors magnifiques et en parfaite situation de Ferdinand Wögerbauer, les non moins beaux costumes d'Anna Maria Heinreich et les superbes éclairages de Duane Schuler concourent à l'intensité visuelle et émotionnelle de ce moment de théâtre. La direction musicale deKirill Petrenko, ancien directeur musical de la Komische Oper de Berlin, est aussi un des bonheurs de la matinée, toute pétrie qu'elle est de poésie et de lyrisme, avec un Orchestre de maison en grande forme. L'on regrettera juste que le chef russe ne laisse pas plus rugir son instrument lors des passages dramatiques et fiévreux de la partition ; mais certainement aura-t-il choisi d'emboîter le pas à la délicatesse nostalgique de la réalisation de Stein.
D'une distribution entièrement russe et véritablement homogène (et pour moitié identique à celle réunie en 2008), l'on retiendra avant tout l'incroyable performance vocale et surtout scénique de Marianna Tarasova qui incarne une Comtesse hallucinante et hallucinée, effrayante et hantée – en deux mots : électrisante et inoubliable ! Par ailleurs, Je crains de lui parler la nuit, la romance de Grétry, chantée du bout des lèvres et dans un français irréprochable, a proprement bouleversé. Saluons l'idée de ne pas avoir distribué ce rôle, comme c'est habituellement le cas, à une illustre soprano en fin de carrière (et de voix, hélas) mais à un mezzo en pleine possession de ses moyens – et quels moyens !
Superbe Olga ici même dans Eugène Onéguine [lire notre chronique du 27 janvier 2007], Elena Maximova livre une Pauline tout simplement somptueuse, dotée d'un grave charnu et d'un aigu insolent, formidable actrice de surcroît (il faut la voir passer de la tristesse de sa romance à l'air enjoué qui suit, tout cela avec un naturel et une facilité confondants). Impressionnante d'autorité, la gouvernante trouve dans le magnifique alto de Margarita Nekrassova une chanteuse à suivre de près.
Enfin, Olga Guryakova retrouve en Lisa un rôle qu'elle a chanté maintes fois et qui convient idéalement à ses moyens actuels. Le soprano russe, magnifique de timbre et doté d'aigus radieux, incarne une héroïne d'abord superbe de passion retenue, avant que de bouleverser en femme brisée. La tessiture meurtrière de la scène de la Neva ne lui pose aucun problème. Elle fait montre d'un art du chant et d'une incarnation scénique que l'on qualifiera de magistraux.
Côté masculin, retenons le remarquable Tomsky de Nikolaï Putilin, toujours aussi bien en voix et excellent comédien L’Életsky d'Alexeï Markov reste la seule déception vocale de cette représentation. Si le timbre est magnifique et le style à l'avenant, le chanteur n'en délivre pas moins un Я Вас люблю (Je vous aime…) dépourvu de toute émotion, ce qui est un comble dans ce qui, à nos yeux, est le plus bel air de l'ouvrage – l'on déplore d'autant plus amèrement la disparition prématurée du magnifique baryton qu'était Wojtek Drabowicz, initialement prévu dans le rôle). Reste le cas d’Hermann... Micha Didyk, qui enthousiasmait dans le rôle d'Alexeï du Joueur de Prokofiev, ici même [lire notre chronique du 25 janvier 2009], n'a ni les moyens considérables ni l'incroyable présence scénique de Vladimir Galouzine, décidemment insurpassable dans le rôle. Le ténor ukrainien n'en demeure pas moins un excellent chanteur, à la voix claironnante (un peu trop ?) et au jeu plutôt nuancé, mais singulièrement dépourvu de la folie et de la démesure des derniers tableaux.
Enfin, félicitons les Chœurs parfaitement en place et fort bien préparés par Alan Woodbridge. Très sollicités, ils font constamment honneur à la partition par une diction remarquable, avec une mention spéciale pour le Chœur d'enfants, magnifique de justesse et de précision. Au final, un formidable travail d'équipe, avec des chanteurs de tout premier ordre et un tandem Petrenko/Stein qui, main dans la main, livre un spectacle qui, à coup sûr, demeurera dans la mémoire des mélomanes lyonnais.
EA