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Chroniques
Иоланта | Iolanta, opéra de Piotr Tchaïkovski
Perséphone, mélodrame chorégraphique d’Igor Stravinsky
Certains œuvres vivent curieux destins : dédaignées durant plusieurs décennies, peut-être à cause d’un format inhabituel, quand ce n’est une exigence d’exécution parfois estimée trop vertigineuse, on en connaît l’existence sans les voir jamais sur scène, et soudain plusieurs institutions décident de les placer dans la lumière. Iolanta est un beau spécimen de ce genre. Créé le 18 décembre 1892 au Théâtre Mariinski (Saint-Pétersbourg), le dernier ouvrage lyrique de Tchaïkovski, que Gustav Mahler défendit ardemment (à Hambourg, trois semaines après la première russe, puis sept ans plus tard à Vienne), ne fut porté que récemment à la connaissance du public français. Après quelques versions de concert – Rostropovitch en 1984, pour commencer, mais on se souvient encore de Temirkanov [lire notre chronique du 30 mars 2003] –, nos maisons se sont fermement attelées à l’offrir au théâtre.
Rappelons-nous les charmes du jardin toulousain, l’inquiétante clinique nancéienne et jusqu’au rêve d’une nuit de Noël, tel qu’imaginé ce printemps au Palais Garnier, dans un couplage fidèle à la naissance d’Iolanta [lire notre chronique du 14 mars 2016]. Encore appréciait-on l’an dernier le travail inspiré de Mariusz Treliński pour la production new-yorkaise, pavillon de chasse dans le mystère sylvestre. Dans l’intervalle, Peter Sellars signait en 2012 à Madrid sa lecture du conte initiatique, associé à la fable mythologique grecque via Perséphone de Stravinsky (reprise au Festival d’Aix-en-Provence l’été dernier). Avec ses cent dix minutes, Iolanta peut aussi bien occuper à lui seul une soirée d’opéra [lire nos chroniques du 28 mars 2010 et du 7 mai 2013], mais aussi se trouver convive d’une autre partition. Aux metteurs en scène de tracer les chemins où elles se rencontreront. À Paris, Tcherniakov n’allait vraisemblablement pas si loin, quand Treliński, lui, sondait brillamment cécité et aveuglement, via Le château de Barbe-Bleue de Bartók [lire notre chronique du 14 février 2015]. Telle Iolanta activement engagée dans sa propre guérison pour sauver la vie de l’amoureux, Perséphone console les ombres des Enfers pour guérir le monde : à leur manière, les deux pièces avancent vers une rédemption, vers la vie heureuse.
Avec la complicité de Martin Pakledinaz (costumes) et George Tsypin (décor), Peter Sellars appose une vision rituelle à la soirée. De part et d’autre de l’entracte, le geste est sacré, dans un univers de portes symboliques, comme fossilisé de toute éternité. Par l’intervention d’un quatuor à cordes sur le plateau, il déjoue adroitement les codes de l’opéra, introduit une dimension dont on pourra dire qu’elle « autorise » la chorégraphie. À l’Orient du mage répond celui des quatre danseurs cambodgiens – captivants Sathya Sam, Sodhachivy Chumvan, Narim Nam et Chan Sithyka Khon, extraordinaire Pluton. Il faut cependant avouer que l’abstraction sacrée ne fonctionne guère pour Iolanta ; tout cohérent qu’il soit le principe s’oppose aux contingences trop précises d’un argument bien ancré dans le réel comme aux inflexions « humaines » de la musique – tout juste est-ce dans le surgissement inattendu du chœur des chérubins, a cappella, qu’il se justifie –, sans compter avec une focalisation excessive sur l’amitié de Robert et Vaudémont qui n’apporte pas grand’chose. En revanche, le résultat est pleinement probant avec Perséphone, nettement détaché de nous, dans un atour tendrement scandé en cérémonie.
Dans le plus que rare mélodrame stravinskien, écrit sur un livret d’André Gide à partir de mai 1933 et créé à Paris le 30 avril 1934 (puis retouché en 1949), saluons le Chœur et la maîtrise de l’Opéra national de Lyon, mais encore le ténor Paul Groves, Eumolpe idéal avec son timbre clair, une diction française exemplaire et une endurance à toute épreuve dans la facture tendue du rôle. Loin de convaincre, la comédienne Pauline Cheviller passe à la trappe toute prosodie, une sonorisation de sa voix projetant par-delà la fosse un dire scolaire et quelconque. Une distribution satisfaisante sert honorablement Iolanta, que domine le rôle-titre, Ekaterina Scherbachenko richement nuancée dotée d’une couleur vocal gracieuse. On remarque l’Alméric de Vassili Efimov, avantageusement projeté et d’une présence attachante, la Marta de Diana Montague et Dmitri Ulyanov, vaillant René de Provence dont la voix généreuse envahie l’espace.
Encore ces ouvrages se répondent-ils musicalement, usant chacun en grande délicatesse des moyens qu’ils convoquent. Cela n’échappe pas à l’excellent Martyn Brabbins qui, à la tête de l’orchestre « maison », en livre une interprétation subtilement ciselée.
BB