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Chroniques
William Schuman
Symphonies n°4 et n°9 – Orchestra Song – Circus Overture
On sait à quel point il est difficile de se faire un prénom… écartons immédiatement tout type de malentendu, le compositeur américain William Schuman (1910-1992) n'a aucun lien de parenté généalogique ou musicale avec Robert Schumann, ni avec son presque homonyme le chantre un peu barbant de la construction européenne (Robert Schuman)… William Schuman est un américain pur jus, né à New York. Passionné dès son plus jeune âge par le jazz et la musique populaire, il apprit très tôt à taquiner une pléiade d'instruments – en simple amateur. À l'âge de vingt ans, alors qu'il poursuit sagement des études de commerce à l'Université de sa ville natale, il est ébranlé par un concert d'Arturo Toscanini à la tête du New York Philharmonic : soudainement, il laisse tomber le costume-cravate et la machine à calculer (mécanique) pour les bancs de l'Université de Columbia, puis ceux de la prestigieuse Julliard School où il fait la rencontre de Roy Harris qui aura une influence déterminante sur son art et lui fera rencontrer le grand Serge Koussevitzky, champion de tous les jeunes compositeurs de son temps. Son œuvre vaste et généreuse, comprenant notamment dix symphonies, laisse la part belle aux apports du jazz et de la musique populaire américaine, dans le cadre d'une forme au classicisme élégant, savoureux, que certaines âmes chagrines pourraient taxer de conservatisme. Mais Schuman a plus d'une corde à sa lyre : il a mené de front pendant toute sa longue vie une double carrière d'artiste (couronnée par un prix Pulitzer dès 1943 pour sa cantate A free song) et d'administrateur qui le mènera de postes d'encadrement au sein de l'éditeur musical Schirmer jusqu'à la présidence de la Julliard, en passant par une foule de présidences honorifiques outre-Atlantique, dans le domaine de la culture.
Avec ce CD, Naxos nous offre la très précieuse occasion de pénétrer un univers musical mal connu. Le choix du programme dirigé par Gerard Schwarz, à la tête du Seattle Symphony (fondé en 1903 et bien familier de l'esprit de la musique américaine) est très judicieux : les Symphonies n°4 (1941) et n°9 (1969) permettent de prendre connaissance de deux états de l'évolution esthétique de Schuman, mais offrent aussi deux visions de la conflagration de la Seconde Guerre mondiale par un compositeur américain qui était à peine plus âgé que les boys qui ont débarqué en Normandie (une vision immédiate puis distanciée, en somme).
La Symphonie n°4 a été jouée pour la première fois quelques semaines après l'attaque japonaise sur Pearl Harbor. Son ambiance générale, pleine de vitalité et d'optimisme, a pu dérouter bien des critiques à l'époque. Si le premier mouvement est très inspiré de Copland et Harris, et si, malgré la maîtrise de la polyphonie, on peut trouver un peu convenue la mélodie pour cor anglais qui le domine de part en part, on ne sera pas insensible à la douceur et à la naïveté du deuxième mouvement dont l'indication – superbe – est Tenderly, simply … une longue plainte des violons et des altos, joués con sordino, se déroule sur un tapis de violoncelle joués en pizzicato. Le dernier mouvement commence par un dialogue énergique entre les cordes et les vents, dévoilant peu à peu une série de thèmes très illustratifs et indubitablement optimistes. Le final, plein de fureur patriotique, nous ferait sauter sur Omaha Beach sans aucune hésitation, et avec le sourire…
Quand Schuman aborde l'écriture de sa Symphonie n°9, à la fin des années soixante, l'heure n'est plus à l'optimisme, et la monstruosité du nazisme est connue. Le titre initial que Schuman avait choisi pour cette œuvre complexe et déchirante est Le Fosse Ardeatine. En 1967 il visite Rome avec sa femme et a l'occasion de voir le site des fosses Adréatines où, en 1944, les nazis exécutèrent sauvagement trois cent trente-cinq Italiens innocents, en représailles de l'assassinat d'une trentaine de soldats allemands par la résistance. Les trois mouvements de cette pièce de trente minutes sont joués sans aucune pause, et organisés selon une liturgie religieuse dont les sous-sections reçoivent des titres latins, plutôt que des numéros de mouvement. L'œuvre est bien entendue organisée sous la forme d'une progression lente, aux accents sinistres et lugubres (Anteludium) vers le climax représentant tout simplement le crime de guerre (Offertorium), symbolisé par de violents tutti soulignés par les percussions ; enfin, le Postludium est une étrange et troublante litanie réflexive. Comment ne pas y voir l'état d'esprit de l'homme d'après-guerre, confronté aux atrocités de ses contemporains ? Tout en lenteur et solennité, ponctué de subtiles notes dissonantes, ce mouvement reprend des thèmes des deux précédents épisodes. Que dire de plus ? Que l'œuvre fut créée à la fois par Eugène Ormandy et Leonard Bernstein, et que c'est un chef-d'œuvre absolu de l'histoire de la musique du XXe siècle.
Ce programme est intelligemment complété par deux œuvres orchestrales courtes de Schuman : Orchestra Song (1963) – une petite ritournelle un peu rustique, qui hésite entre la folk song et le chant de Noël, tout en faisait la part belle à la trompette et aux autres instruments à vent – et la Circus Overture (1944) écrite pour un spectacle de Broadway, pleine d'effets sonores, de pompe, et d'une ludique vitalité. L'enregistrement DDD du début des années 2000 rend parfaitement justice à la vitalité et à la précision du Seattle Symphony. Le livret est en anglais et en allemand. Compte tenu du prix doux, l'achat s'impose.
FXA