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Chroniques
Simon Rattle et le Berliner Philharmoniker
Johannes Brahms | Concerto pour piano n°1 – Quatuor avec piano n°1
Voici près de quinze ans que le Berliner Philharmoniker a pris pour habitude de fêter l'anniversaire de sa fondation, le 1er mai, dans un lieu différent chaque année, par un grand concert faisant ainsi sortir l'illustre formation brandebourgeoise hors des salles. Si, pour la journée du travail de 2003, Pierre Boulez investissait la Basilique d'un couvent de Lisbonne, l'Odéon d'Hérode Atticus, au pied de l'Acropole d'Athènes, célébrait celle de 2004 : un cadre de rêve pour un concert extrêmement peuplé, sous un ciel un rien couvert.
Simon Rattle avait choisi d'honorer la musique de Johannes Brahms, invitant, pour commencer, Daniel Barenboïm à jouer le Premier Concerto. Dès le Maestoso, l'entrée de l'orchestre est littéralement fracassante. Le chef souligne toutes les velléités symphoniques de l'écriture du jeune Brahms. Il donne ce mouvement dans un climat tragique. On retrouve la grande efficacité des bois de Berlin, notamment des flûtes et clarinettes. De même retrouve-t-on une tendance de Rattle constatée sur place en juin 2003 : il prend son temps, écoutant calmement la perfection de son instrument, en oubliant parfois les exigences dynamiques de la musique. Le piano arrive très dignement, proposant une lecture d'une grande classe, quelque chose de droit avec une sonorité fort ronde, non dénuée d'une certaine emphase qui convient plutôt bien à la partition ambitieuse d'un jeune homme. Sans s'avérer coloriste, le jeu de Barenboïm affirme une théâtralité relativement simple, dans un geste tout-à-fait exceptionnel. Malheureusement, la précision d'autrefois n'est plus ce qu'elle put être… Les deux artistes travaillent ensemble pour la première fois : le résultat est équilibré, avec un chef toujours attentif au pianiste qui cultive la puissance nécessaire à passer largement dessus les excès de l'orchestration. L'Adagio central est un pur moment de grâce, s'amorçant dans une belle clarté pour peu à peu atteindre un recueillement où les dernières phrases pianistiques viennent illuminer un orchestre volontairement étale. En revanche, la lourdeur avec laquelle est engagé le dernier mouvement compromet définitivement l'ensemble, appuyant les contrastes jusqu'à une rutilante démonstration. Les doigts de Barenboïm s'embrouillent vertigineusement : moins énergique que sa légende le dit, le voici imprécis et brutal. Pourtant, ces débordements sont tant assumés que le spectacle est sauf !
Arnold Schönberg a écrit de nombreux arrangements, et pas uniquement de ses propres œuvres, tout au long de sa carrière. Il traduit ainsi d'abord afin de pouvoir présenter des pièces requérant normalement de gros effectifs dans le cadre des concerts plus modestes de la Société de Musique Nouvelle : deux pianos suffiront alors pour sa Première Symphonie de chambre, par exemple. Puis il abordera cet exercice par goût, révélant deux Valses de Strauss par le relief de sept instruments. Enfin, inversant la donne, il devait plus tardivement aborder des œuvres pour petits effectifs auxquelles il s'ingénierait à donner des proportions plus vastes. Ainsi naquirent des orchestrations de Chorals pour orgue de Bach, ou encore celle du Quatuor en sol mineur Op. 25 avec piano de Brahms, réalisée entre le 2 mai et le 19 septembre 1937. Le travail de Schönberg est exceptionnel, on ne le répètera jamais assez, pour une pièce qui n'est que très rarement jouée chez nous. Il ne s'est pas contenté de réécrire le Quatuor pour un orchestre à cordes, mais est allé puiser des exemples dans l'œuvre brahmsienne pour obtenir ici une sonorité qui est presque plus Brahms que Brahms.
Dans ce qu'il conviendra de considérer dès lors comme une symphonie supplémentaire, Rattle s'affirme coloriste dès les premiers pas de l'Allegro initial. L'énergie est excellente, son jeu est contrasté sans ridicule, sans caricature, avec beaucoup d'élégance, et la respiration est splendide. Qui fait ainsi chanter les cuivres?... L'œuvre met évidemment les pupitres en valeur ; on goûte des choses absolument délicieuses de la part des hautbois, clarinettes, bassons. Le chef oppose à la gravité du thème principal des motifs jubilatoires qu'il rend bondissant. Le ralenti mesuré de la fin du mouvement n'est pas trop appuyé, et trouve soudain une dignité inattendue. L'Intermezzo s'avère joliment souple, voire joueur. Dans une fort belle pâte sonore, Rattle met en valeur le chant de l'Andante con moto, et certains traits moins brahmsiens qui révèlent aussi Schönberg, lui-même suggérant d'ailleurs tout ce que Brahms doit à Beethoven. Mais, attention : à vouloir trop accuser les contrastes, on arrive au pompier. Une fois de plus, le chef britannique force le trait, au détriment de la musicalité elle-même. Dans le Rondo, il joue sur les attaques et leurs rebondissements, dans une dynamique cohérente. Cependant, alla zingarese semble mal compris : la lecture perd alors toute élégance – en faisant trop –, accuse des rubati interminables, des accelerandi chaotiques, d'improbables envolées lyriques. Certes, il y a l'enthousiasme, mais cela suffit-il ?
BB