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Chroniques
Riccardo Muti et l’Orchestra del Teatro La Fenice
gala de réouverture à Venise (2003)
Renaissant de ses cendres en 1792, le Teatro San Benedetto de Venise s'appellerait désormais La Fenice, et deviendrait l'un des hauts lieux de la création lyrique. Détruit par le feu une nouvelle fois en décembre 1836, le Phénix est reconstruit très rapidement sur la Campo San Fantin. On se souvient de l'émoi du monde musical tout entier lorsqu'en la nuit du 29 au 30 janvier 1996, un court-circuit du détecteur de fumée provoque un incendie qui détruira l'intérieur du célèbre théâtre, laissant se dresser, après neuf heures de flammes, une sinistre façade vide renfermant un amas de pierres fumantes. Après plusieurs années de travaux, confiés à deux entreprises, pour un coût global de soixante millions d'euros, la Fenice put rouvrir ses portes en décembre 2003, grâce à une reconstitution minutieuse, notamment des tentures et revêtements textiles somptueusement réalisés par Rubelli dans les ornements et couleurs d'origine.
Le DVD publié aujourd'hui par TDK se concentre uniquement sur le gala de réouverture de l'édifice, le 14 décembre 2003, sans évoquer le passé récent et ancien des lieux. Il s'ouvre gentiment par diverses images qu'on pourrait dire touristiques de la Sérénissime, dans une fort belle lumière, tandis que l'orchestre s'accorde.
Très rapidement après le choc de la découverte de cette nouvelle Fenice, Riccardo Muti gagne le plateau où il dirige, en présence des autorités politiques et religieuses – ce qui en Italie revient depuis toujours à désigner une seule et même chose –, l'hymne national. Sans saluer, il se lance ensuite dans une exécution très précise mais un peu lourde, prenant systématiquement appui sur les timbales, de La consécration de la maison Op.124, ouverture de Ludwig van Beethoven, où l'on remarquera le fort beau solo véloce du basson, malheureusement couvert par les cuivres auxquels le chef accorde la vedette. Signalons, dans la partie médiane de cette brève page, un travail infiniment nuancé des cordes.
Si l'on pourrait chercher longtemps un rapport entre Beethoven et La Fenice sans trouver quoi que ce soit, les autres œuvres au programme émanent de compositeurs que Venise a bien connus, à commencer par Antonio Caldara qui y est né. On saluera l'excellente idée de faire retentir des fastes dix-huitièmistes de son Te deum ce nouveau temple à la musique ; pourtant, il aurait été plus judicieux d'en confier l'interprétation à des artistes pour lesquels ce répertoire fût familier. Riccardo Muti ne prend pas du tout en compte l'expérience du renouveau baroque, et sa lecture s'avère totalement hors sujet. À cette maladresse viennent s'ajouter un Coro del Teatro La Fenice plus qu'approximatif et une distribution soliste inégale. Le ténor Roberto Saccà nasalise disgracieusement, tandis qu'au même registre, le Milanais Mirko Guadagnini offre un travail joliment timbré affirmant un chant nuancé et élégant qu'on imagine aisément dans les rôles mozartiens. À la basse, Nicolas Rivenq se montre une fois de plus fort bon musicien, accusant toutefois quelques légers soucis de justesse, tandis que Michele Petrusi offre un grain somptueux. À l'art irréprochable mais un rien confidentiel de Sara Mingardo s'accordent la couleur généreuse et la grande santé de la voix de Sonia Ganassi (mezzos), tandis qu'au chant extrêmement maniéré et platement projeté de la grimaçante Patrizia Ciofi s'oppose salutairement la clarté de Sara Allegretta (sopranos). Bref : un Te Deum à oublier !
Le 19 août 1929, Sergeï Diaghilev meurt à Venise. Il y est enterré dans le carré orthodoxe du cimetière San Michele. Quelques mois plus tôt, Koussevitzky avait passé commande d'une symphonie à Igor Stravinsky, destinée à célébrer le cinquantième anniversaire du Boston Symphony Orchestra dont il était la tête depuis 1924. Par ailleurs, le compositeur traversait alors une crise mystique qui occuperait son esprit cinq années durant. Masquant un hommage aujourd'hui reconnu comme tel au patron des Ballet russes, Stravinsky livrerait cette Symphonie de Psaumes doublement liée à Venise, puisque son auteur y serait enterré à son tour, sous une dalle de Giacomo Manzu, en 1971 – j'aurais pu tout aussi bien dire triplement, partant que La Fenice créa The Rake's Progress vingt ans plus tôt. Maestro Muti sert l'Exaudi orationem meam, Domine par une grande clarté des bois, dans une régularité absolue qui en souligne l'inexorabilité. Il accentue ensuite le contraste de l'entrée des hommes. Malheureusement, l'unité de la vocalité chorale reste encore à faire, et la justesse à prouver. L'introduction de l'Expectans expectavi Dominum s'avère très équilibrée, cette lecture, restant toujours lyrique, éclaire d'un certain recueillement une musique plus religieuse que symphonique. C'est avec une étonnante suavité de sonorité qu'est ici amorcé le Laudate Dominum final dont on remarquera les crescendi de chœur parfaitement bien gérés, rendus presque imperceptible tant ils sont progressifs ; la masse chorale semble alors s'enfler par elle-même, naturellement.
Pour clore cette soirée de gala, il manquait la présence de Richard Wagner, venu mourir à Venise en 1883. Mais on s'interroge sur le choix de donner ses Kaisermarsch et Huldigungsmarsch plutôt qu'une page plus honorable de son catalogue… Au sein d'une telle solennité, Muti parvient malgré tout à nuancer. Mais tout cela demeure caricaturalement pompier !
BB