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Chroniques
Musiques du monde au Théâtre de la Ville
une sélection de moments (2001-2004)
Paru en début d'année, ce document regroupe des extraits de concerts ayant eu lieu au Théâtre de la Ville (Paris) – bien connu pour sa programmation musiques du monde – entre octobre 2001 et mai 2004. Outre les prestations proposées (un peu moins de dix minutes, en moyenne), une heure de bonus permet une rencontre plus intime de ces grands maîtres, lors d'entretiens exclusifs où l'héritage musical familial est souvent évoqué.
L'Inde, avec quatre spectacles, est le pays le plus représenté. Le premier extrait proposé – le plus long du DVD, avec sa quasi demi-heure – nous permet la rencontre de Rajan et Sajan Misra, initiés par leur père et leur oncle au chant khyal. Ce chant traditionnel de l'Inde du Nord, un des genres principaux de la musique classique indienne, est né dans les cours mogholes du XVIIIe siècle de la rencontre des musiques persane et soufie avec la tradition religieuse hindoue. Accompagnés de tablas à la rythmique extrêmement complexe (ruptures métriques, accord du swarmandal en fonction du raga du jour, etc.), les deux frères de Bénarès, à partir de deux ou trois vers donnés, se lancent dans un chant improvisé, imaginatif autant qu'inspiré. Pouvant autrefois approcher les cinq heures, leurs concerts se sont à présent adaptés au rythme moderne urbain.
Autre famille, autre instrument : Shivkumar Sharma (cinquante ans de carrière) et son fils Rahul jouent du santour. Avec ses cordes frappées par un petit maillet de bois – dont on retrouve des équivalents à travers le monde –, le santour a eu du mal à s'imposer sur la scène de la musique classique. Le père de Shivkumar, qui a détourné son enfant du chant et du tabla, et le musicien lui-même qui a travaillé sur l'effet legato d'un instrument connu pour un son staccato ont contribué en premier lieu à sa reconnaissance. La musique est répétitive, mais évite l'agacement grâce à sa légèreté.
Hariprasad Chaurasia, lui aussi, s'est vu déconseillé le chant au profit de la flûte bansuri, au son proche des cordes vocales. Fait rare en Inde, l'artiste ne vient pas d'une famille de musiciens, si bien qu'il se souvient avoir commencé par fredonner dans sa flûte en bambou avant d'en maîtriser le jeu, pour finalement apprendre tardivement la musique. Quant à elle, Girija Devi n'a pas attendu : elle a commencé le chant à cinq ans, à une époque où le chant khyal avait peu d'interprètes féminines. À 74 ans, cette perfectionniste qui aime se critiquer et s'améliorer grâce à la vidéo, se sent une éternelle étudiante.
Nous avons évoqué le soufisme, cette doctrine ésotérique de l'Islam, en rapport avec le Coran et les paroles du Prophète. Autodidacte, très tôt en contact avec les textes anciens grâce à son père iman, Sheikh Yasin al-Tuhâmi a conquis toute la Haute-Egypte, avec les formes longtemps considérées comme archaïques du hadra et du dhikr soufi. Autre mûnshid (chanteur religieux), Sheikh Habboush vit à Alep en Syrie, avec l'ensemble Al-Kindî qui l'accompagne ; il est un des rares chefs de confrérie soufie à avoir pu développer sa vocation lyrique plus que sa vocation théologique.
D'autres belles rencontres musicales et humaines complètent ce programme : Okna Tsahan Tzam nous fait découvrir le Djangar, une grande épopée kalmouke très ancienne qu'il module de son chant diaphonique ; Uljan Baïbusynova parle de la liberté des femmes et de leur place dans la transmission de tradition ; et Rahim Khushnawaz de la centaine de colombes qu'il a abandonné chez lui, après l'avènement des Talibans. Dommage que la sérénité qui se dégage de ces moments soit gâchée par une navigation des plus retorses.
LB