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Chroniques
Modeste Moussorgski – Piotr Tchaïkovski
transcriptions de Leopold Stokowski (Une nuit sur le mont chauve – Entracte de Khovantchina – Tableaux d'une exposition – etc.)
En ces temps de retour à l'origine des textes et de respect de la moindre semi-intention des compositeurs, il apparaît courageux d'éditer un programme intégralement consacré aux orchestrations de Modeste Moussorgski par le grand chef que fut Leopold Stokowski. Pourtant, ce virtuose de la baguette et des sons est incontestablement un orchestrateur de génie. Particulièrement lié au compositeur russe dont il présenta en première américaine la version originale de Boris Godounov, le maestro lui consacra, à égalité avec Wagner, l'essentiel de ses orchestrations.
La version originale d’Une nuit sur le mont chauve ne fut éditée qu'au cours des années soixante ; Stokowski, qui trouvait la version de Rimski-Korsakov trop policée, se décida à réorchestrer la partition, à la fin des années trente. Dès les premières mesures, on est aussitôt séduit par cette adaptation spectaculaire et violente. L'orchestration des Tableaux d'une exposition par Maurice Ravel ne convainquit pas le chef d'orchestre américain. S'il trouvait brillant le travail du compositeur du Boléro, il lui reprochait d'être trop français et de manquer de sonorités russes. Présentée en 1939 à Philadelphie, cette interprétation ne retient que dix numéros de la pièce originale pour piano – Stokowski n'a pas sélectionné Tuileries et La Place du marché à Limoges. D'une incroyable maîtrise et d'un haut degré d'inspiration, cette édition fascine avec des choix instrumentaux inusités. L'auditeur sera un peu moins convaincu par la Synthèse symphonique de Boris Godounov ; si elle respecte le déroulement de la partition, cette étrange suite manque d'unité et n'a que peu de choses en commun avec l'esprit de l'œuvre originale. Le court Entracte de l'acte IV de Khovantchina se révèle particulièrement sombre et impressionnant.
Jusqu'à présent la discographie de ces orchestrations, critiquables mais uniques, était peu satisfaisante. Au soir de sa très longue vie, Leopold Stokowski enregistra une anthologie pour Decca, mais il était desservi par la technique Phase 4, alors en vogue chez l'éditeur londonien ; à force d'effets grossissants sur les instruments, ce procédé d'enregistrement rendait ces pièces insupportables. Oliver Knussen, à la tête d'un Orchestre de Cleveland impérial (DGG), est certes brillant mais trop timoré, alors que les disques de Matthias Bamert pour Chandos sont bien ennuyeux. Le compositeur et chef d'orchestre José Serebrier, un ancien assistant de Stokowski, se limite à faire de la musique pour de la musique. Sans tomber dans le mauvais goût, il empoigne à bras le corps ces partitions avec élan et musicalité. Il est aidé par un Bournemouth Symphony Orchestra aux timbres assez acides qui conviennent parfaitement à cette esthétique si particulière. La prise de son, large et profonde, est aussi un atout déterminant dans la réussite de ce disque périphérique mais fascinant. Autant de raison de distinguer cette publication d'une Anaclase !
Cet album se termine avec trois délicieuses miniatures : l'Humoresque Op.10 puis Solitude Op.73 de Tchaïkovski et un Chant traditionnel slave de Noël.
PJT