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Chroniques
Josef Bohuslav Foerster
Eva | Ève
L'intérêt de Josef Bohuslav Foerster pour le sujet d’Eva remonte à une représentation de Gazdina roba, un drame réaliste de Gabriela Preissova, vu au Théâtre National de Prague en 1889. Traitant un conflit social, ce spectacle fit sensation. Avec l'accord de l'auteur, le compositeur demande au célèbre Jaroslav Kvapil (1868-1950) – librettiste de Rusalka (1900) de Dvořák et de Debora (1890), autre des six opéras de Foerster – de versifier la pièce. Tandis qu'il patiente vainement en se rendant régulièrement à la frontière de la Moravie et de la Slovaquie pour « regarder au cœur des gens » de cette région, l'inspiration l'oblige à se lancer : entre septembre 1895 et octobre 1896, il travaille sur son propre livret (loin d'une langue dialectale et rude, chère à Janáček) puis sur la partition vocale, tandis que l'orchestration est achevée en avril 1897. Les coupures visent à gommer le nombre de personnages, la couleur locale et la motivation religieuse de l'original. Ces trois actes sont créés le 1er janvier 1899, au Théâtre National de Prague.
Acte I – Dans une campagne slovaque retirée, la jeune couturière Eva et le riche meunier Mánek s'isolent du bal qu'on donne dans l'auberge du village. Une différence de condition sociale envenime leur relation, et Eva soupçonne Mánek de bien peu résister à la pression maternelle d'épouser la riche Maryša. Samko, un fourreur boiteux amoureux d'Eva depuis très longtemps, observe la scène et quand Mánek s'éloigne, il fait part à Eva de ses propres intentions de mariage. Peu après, Mešjanovka, la mère du meunier, menace la jeune femme devant tous, l'enjoignant de s'éloigner de son fils. Samko s'interpose et la protège. Eva décide alors de délaisser Mánek pour le fourreur et, seule, confie ses désillusions. Le meunier lui apprend une affreuse nouvelle : sa mère menace de le déshériter si leur relation continue ; Eva lui annonce son choix.
Acte II – Au travail dans sa chaumière, Samko se plaint de la longue absence de sa femme, qui passe la plupart de son temps sur la tombe de leur petite fille. Recueillant la confidence, la jeune Zuzka rappelle que le fourreur a refusé d'appeler le médecin lorsqu'elle est tombée malade. Samko rétorque qu'on devrait apprendre à accepter la volonté du Seigneur. La jeune fille mentionne aussi Mánek : malgré son mariage avec Maryša et leurs enfants, il continue de montrer de l'intérêt pour Eva. De retour près du berceau vide, Eva reçoit Mešjanovka, venue commander un manteau. Elle se vante de sa richesse, comparant le foyer heureux de son fils avec la chaumière misérable. Eva la congédie, blessée de ne pas être soutenue par son époux. Celui-ci est plutôt préoccupé par le peu d'affection qu'elle lui accorde. Insinuant qu'elle le trahit, il menace de restreinte sa liberté. Suite à cette scène, Eva consent à un rendez-vous avec Mánek. Quant il arrive et proclame la vivacité de son amour, promettant de divorcer et de fuir en Autriche, Eva garde la tête froide. Le retour de Samko entraîne le départ précipité du meunier ; l'héroïne ne cache pas l'entrevue à son homme qui, furieux, tente de la battre : cette main qu'il lève sur elle la décide à rejoindre Mánek.
Acte III – Dans la campagne autrichienne, les laboureurs boivent à la moisson et triquent à la santé de leur patron, Mánek. L'un d'eux, incapable de se contrôler, laisse entendre son peu de respect pour Eva, « la veuve d'un homme vivant ». Bouleversée, refusant de rejoindre les danseurs, celle-ci s'éloigne. Elle confie à Mánek sa difficulté à supporter l'instabilité et l'indignité de son statut, et aussi les cauchemars où sa petite fille morte l'appelle à la rejoindre. Arrive alors Mešjanovka, venue vérifier les rumeurs sur la vie privée de son fils. Eva n'entendant pas se cacher, Mánek avoue son intention de l'épouser. La mère exhibe une lettre des autorités lui refusant tout divorce. L'homme propose alors de partager son temps entre sa famille et Eva, mais celle-ci, à bout de forces, court se jeter dans les eaux du Danube.
Musicalement, une riche orchestration s'appuie sur plusieurs motifs courts et flexibles, servant à décrire les personnages principaux, mais également à révéler ce que les mots ne disent pas. Celui qui représente Eva, par exemple, montre à la fois son énergie, sa solidité, son intransigeance, et sa douceur féminine, ses désirs enfouis. Moderne, l'œuvre se coupe d'un siècle de romantisme tardif hérité de Smetana et Dvořák pour puiser chez Mahler – un ami sous la direction duquel chantera d'ailleurs son épouse, Berta Lauterova. Malgré quelques lourdeurs, Jaroslav Kyzlink et l'Orchestre Philharmonique de Cracovie illuminent cette captation du Wesford Festival, en octobre 2004.
Côté chanteurs, les prestations méritent aussi l'attention. SiIveta Jiříková laisse indifférent en Eva durant tout le premier acte (timbre acide, émission parfois engorgée), et si le vaillant baryton Igor Tarasov (Samko) souffre avec la difficulté d'une partition au registre peut-être mal défini qui le contraint tant à convoquer l'aigus que le grave, on appréciera sans réserve Kostantin Andreïev (Mánek), ténor très souple, Denisa Hamarová (Mešjanovka) au chant très égal et d'un beau velours, et Elizabeth Batton (Zuzka), mezzo vif et habité.
LB