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Chroniques
Francis Poulenc
sonates avec piano
L'auteur du livret a eu raison de rappeler que Francis Poulenc estimait que sa musique est son portrait, un portrait toujours sensible et délicatement lyrique, mais il a certainement tort d'ajouter que cette musique – en l'espèce, sa musique de chambre – naît sous la plume d'un « bourgeois qui a le sens de la noblesse et de la générosité ». Cela serait en donner à tort une image pseudo élitiste, et présupposerait une rupture imaginaire avec le reste de son catalogue – dont les mélodies qui sont parfois d'une veine parfaitement populaire, et délicieuse. La musique de chambre d'un bourgeois, donc? Certainement pas. Bien téméraire, d'ailleurs, celui qui chercherait à classer Poulenc dans l'histoire de la musique, ou dans l'échelle des représentations sociales : à la fois proche de Satie, ducaf'conc' du début du siècle dernier, de Stravinsky, Prokofiev, pourquoi pas de l'école de Vienne et même de Schubert finalement – cet infatigable touche-à-tout ? Ni bourgeois ni populo, soyons sérieux : Poulenc est au-dessus de ça !
Ce disque nous propose l'intégrale des Cinq sonates pour piano et autres instruments – à vents (clarinette, flûte et hautbois), les plus connues, et à cordes (violon et violoncelle) – que Francis Poulenc a écrites dans les années quarante à soixante. Autour du piano d’Émile Naoumoff, qui fut le dernier disciple de Nadia Boulanger, cinq solistes se succèdent dont le violoniste Régis Pasquier, dans cette anthologie qui risque de faire date, même si l'on sent que les instrumentistes ont délibérément cherché une cohérence de genre et de style à ces cinq opus, plutôt que de les considérer individuellement dans leurs spécificités propres. Évidemment Poulenc est là, derrière chaque note d'une musique envoûtante, à en tirer toujours les ficelles – tantôt nostalgiques tantôt féroces – mais l'on a ici parfois trop l'impression qu'il abordait uniformément le genre musique de chambre alors que ces sonates furent surtout pour lui l'occasion de rendre des hommages musicaux à des gens qu'il aimait, dont Arthur Honegger (Sonate pour clarinette), le poète Garcia Lorca (Sonate pour violon) et surtout Sergeï Prokofiev (Sonate pour hautbois).
Malgré ce sentiment d'uniformité, les solistes abordent tous leurs partitions avec passion, et rendent justice aux inspirateurs ou créateurs des œuvres. Ainsi, par exemple, Eli Eban à la clarinette s'inscrit bien dans la tradition d'excellence de Benny Goodman qui créa l'œuvre au Carnegie Hall avec un certain Bernstein au piano en 1963, peu après la mort de Poulenc. Régis Pasquier au violon impose toute son énergie et son intelligence de la partition, dans l'ombre touchante de l'immense Ginette Neveu, qui créa l'œuvre en 1943.
La qualité de l'enregistrement DDD, et l'attention porté au livret de vingt pages (bilingue français / anglais), justifie l'achat de cette anthologie, même si nous conseillons aux amateurs de Poulenc de se tourner plutôt vers le coffret de 2 CD Poulenc : Musique de chambre édité par EMI au début des années quatre-vingt dix sur la base d'archives stéréo reprenant – avec, outre les Cinq sonates pour piano et autres instruments, des œuvres moins importantes mais néanmoins charmantes, telles que le Trio pour piano, hautbois et basson ou la Sonate pour clarinetteet basson. Ah oui… j'oubliais de dire que dans l'anthologie EMI Menuhin est au violon, Fournier est au violoncelle, Portal est à la clarinette et Jacques Février au piano. Autant dire que « la concurrence est dure, mais c'est la concurrence ! » : chacun de ces géants imprime sa marque à chaque enregistrement et en fait un moment d'exception.
Saluons tout de même le courage des instrumentistes réunis autour du piano d'Emile Naoumoff dans ce disque proposé par les prometteuses Saphir Productions, déterminées à renouveler l'interprétation de la musique de chambre française.
FXA