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Chroniques
Charles Ives
intégrale des mélodies (vol. 1)
Dans l'histoire de la mélodie américaine, la contribution de Charles Ives (1874-1954) est sans conteste la plus importante et la plus riche – alors qu'étonnamment, le compositeur n'est pas connu en premier lieu pour cet aspect de son travail. Durant une trentaine d'années, parallèlement à sa musique symphonique, de chambre ou de chœur, Ives a produit près de deux cents pièces pour voix et piano, qui défient toute description rapide ou générale. Leur quantité, leur variété ayant fait échouer plus d'un projet d'intégrale, il aura fallu attendre 1992 pour que soit édité ce volume 1, par Albany Records. Sauf exception, l'ordre chronologique y est respecté : on trouve donc ici trente-six mélodies, datées de 1888 à 1908, teintées de ragtime, de gospel, d'hymnes religieuses, de chansons de salon qui constituaient l'ordinaire de l'époque. Lorsqu'une même musique aura accompagné deux textes différents (comme pour World's Wanderers, dont une version existe en anglais, une autre en allemand), le choix fut laissé au chanteur d'interpréter sa préférée.
L'œuvre d’Ives est connue pour sa nostalgie. Les premières mélodies n'échappent pas à ce sentiment douceâtre, d'autant que, tout jeune homme alors, ce sont la vie des ancêtres, les souvenirs d'enfance de son père qui vont l'inspirer. Dans Memories (1897) par exemple, l'indication rather sad (plutôt triste), pour une seconde partie de mélodie qui s'annonçait toute enjouée, s'ajoute à un texte truffé d'expressions démodées. Des titres comme Christmas Carol (1894), Songs my mother taught me (1895), A scotch Lullaby (1896) ou My native land (1897) suffisent à imaginer des compositions pleines d'émotion, liées à un contexte familier ou événementiel – citons cette toute première Marche Lente, écrite à treize ans pour l'enterrement d'un animal domestique. Mais, élevé par un père fantaisiste, Charles Ives se laisse aussi aller à la veine humoristique, comme avec Circus Band (1894) ou A Son of Gambolier (1895), chanson à boire populaire, qu'il trouvait plus amusant d'accompagner par « un chœur de kazoo, des flûtes, des crincrins et des flageolets ».
Ses mélodies peuvent être abordées comme une sorte d'autobiographie, d'autant que les auteurs mis en musique (Helmine von Chézy, Peter Cornelius, Bulwer-Lytton, etc.), quand il n'écrivait pas lui-même ses textes, étaient choisis pour leurs mots plus que pour leur renom.
L'idée était bonne de présenter un volume où quatre couples de chanteurs et pianistes se succèdent, interprétant les mélodies dans leur clé d'origine. Cependant, force est de constater notre déception devant l'inégalité des talents convoqués. Faible dans le bas registre, tantôt engorgé, tantôt miaulant ses attaques, le ténor Paul Sperry est le principal responsable de ce gâchis, le disque s'achevant sur une prestation tonitruante autant que décevante, ce qui n'arrange rien. Si les soprani Dora Ohrenstein et Mary Ann Hart possèdent une voix claire et un français excellent au besoin, la première nous semble trop maniérée tandis que le chant de la seconde vacille plus d'une fois. Trop rare au milieu de partenaires défaillants, le baryton William Sharp est le seul à nous intéresser : avec lui, stabilité et souplesse, douceur et vaillance font bon ménage, d'où l'expressivité n'est jamais absente.
LB