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Chroniques
Arnold Schönberg
Verklärte Nacht Op.4 – Kammersymphonie Op.9 n°1
C'est la seconde fois que Zubin Mehta, grand patron de l'Opéra de Munich et directeur musical de l'Orchestre d'État de Bavière, grave un enregistrement de ce programme composé de deux œuvres de la période tonale d'Arnold Schönberg (1874-1951) : Verklärte Nacht Op.4 et Kammersinfonie Op.9. Même si la carrière de Mehta est riche et diversifiée, il s'est particulièrement intéressé aux compositeurs que l'on peut classer sous la bannière toujours un peu abusive de néoromantisme : Bruckner, Mahler, Strauss, etc. ; et bien entendu au premier Schönberg, dense et déchirant à chaque mesure.
Le premier enregistrement du programme, pour Decca dans les années soixante-dix, a un son résolument moins clair, la présente interprétation gagnant en impétuosité ce qu'elle perd en profondeur. En remettant sur le métier la belle ouvrage, et au format SACD s'il vous plait, Zubin Mehta à la tête du Bayerische Staatsorchester propose une (re)lecture toute en subtilité de ces deux œuvres essentielles du répertoire classique du XXe siècle, qui s'impose sur la précédente version et sur bien des enregistrements concurrents (et notamment sur la lecture souvent âpre de Boulez chez Sony/BMG).
Un cas de conscience se pose au musicien et au mélomane concernant La Nuit transfigurée : l'œuvre est à l'origine un sextuor à cordes, écrit en 1899, puis révisé en 1917 et 1943 sous la forme d'une pièce orchestrale. Mehta propose ici la version définitive où le grand orchestre à cordes permet de mesurer le lyrisme wagnérien du premier Schönberg, mais non de vraiment saisir l'intensité immédiate que rend parfaitement le sextuor. On comprendra que l'idéal est de posséder les deux versions. Dans cette lecture, l'œuvre du Viennois, écrite sur la base d'un poème de Richard Dehmel, présente une cohérence linéaire qui la rapproche de la musique à programme, sans négliger la prétention du compositeur à écrire une forme de musique pure : on se délecte de ce Schönberg si écorché, si romantique, et au lyrisme magistral. Composée de quatre sections lentes – Grave, Poco Adagio, Adagio, Adagio molto tranquillo –, Verklärte Nacht est un voyage angoissant et jubilatoire dans les tréfonds de l'âme humaine, toujours au bord de la rupture. On connaît mal le propos du poème de Dehmel, et c'est un tort, car il nous permet de bien saisir les ressorts dramatiques de l'œuvre : l'histoire est vieille – et belle – comme le monde : un couple d'amoureux marche dans la nuit, « Deux êtres cheminent par le bois dépouillé et froid », et la jeune femme annonce à son amant qu'elle est enceinte d'un autre homme que lui. Son nouvel amant accepte alors tendrement de recevoir l'enfant comme étant le sien, et donc de le transfigurer, selon le mot de Dehmel. À une thématique d'une telle gravité, le compositeur répond par une partition certes grave mais aussi elle-même transfigurée, creuset infini de ses influences musicales et du son austro-allemand de la fin du XIXe siècle, plein des lyrismes aériens ou épais de Brahms, Bruckner, Mahler et Wagner.
La Symphonie de chambre Op.9 n°1, écrite en 1906, marque une évolution évidente dans le style de l'artiste, qui s'achemine irrémédiablement vers le langage si complexe qu'il illustrera dans ses œuvres ultérieures, la musique sérielle. Cette œuvre n'est pas encore dans le champ du sérialisme, elle est tonale, mais le mi majeur annoncé est parfaitement théorique : l'œuvre présente un caractère d'instabilité très subtil et nerveux. Zubin Mehta enregistre ici la version originale pour un orchestre réduit de quinze instruments, dont un quatuor à cordes. Dans le remarquable texte de présentation du livret, Volker Ufertinger souligne avec beaucoup de malice : « Dans les mêmes semaines au cours desquelles Gustav Mahler composa sa gigantesque 8ème Symphonie, la Symphonie des Mille, Schönberg prit la liberté d'enfanter un hybride ». En effet, cette Kammersinfonie, d'une vingtaine de minutes, est certainement l'œuvre la plus ambiguë de son auteur qu'elle montre sur le tranchant de sa brisure. Au delà, assurément, c'est l'univers atonal.
Même si beaucoup de chefs se sont attaqué à ces deux monuments, Mehta réussit le pari d'offrir une version romantique, lyrique et décomplexée du premier Schönberg. Brûlons un cierge à Saint Pierrot Lunaire pour que le grand compositeur figure un jour aux Prom's ! L'enregistrement stéréo surround, dédié au SACD, rend parfaitement justice au travail de l'orchestre. Le livret trilingue abondamment illustré est exemplaire : outre le fait qu'il donne l'intégralité du beau et rare poème de Dehmel, le texte de présentation est subtil et très documenté. Autant de fort bons points pour la jeune maison de disque munichoise Farao Classics à qui l'on souhaite longue vie !
FXA