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Chroniques
archives Sviatoslav Richter
enregistrements 1955
Le label milanais Urania poursuit ses précieuses publications d'enregistrements moscovites deSviatoslav Richter avec cette brève galette (53 minutes) réunissant Bach et Rachmaninov. Le 22 avril 1955, Kurt Sanderling dirigeait l'Orchestre Symphonique de la Radiotélévision Soviétique dans une lecture du Concerto pour clavier BWV 1052 en ré mineur de Johann Sebastian Bach tributaire du style de l'époque. Après quelques décennies de renouveau baroque et d'investigations stylistiques toujours plus précises, cette façon de faire paraîtra obsolète, bien sûr, sans pour autant que le charme en soit rompu. Car l'articulation plutôt raide de l'orchestre met assez avantageusement en valeur la fluidité proprement prodigieuse d'un Richter excellent d'efficacité et de discrétion qui, à l'inverse, serait plutôt dans le style. On admirera notamment la fantaisie cadentielle du premier Allegro. L'extrême lenteur dans laquelle il égrène ensuite l'Adagio central impose une gravité bouleversante à une interprétation qu'on estimera peut-être un rien romantique. La délicatesse du toucher est d'une tendresse déroutante, de même que la respiration s'avère aller de soi. Le climat est recueilli, à tel point que cette musique semble soudain contenir des dangers qu'on ne soupçonnait pas jusqu'à lors. Libre à chacun d'imaginer, d'extrapoler, selon sa propre connaissance de l'histoire russe de ces années-là et de la carrière de Richter… La restitution sonore n'est pas idéale, l'accord du piano non plus, le style n'a rien de spécifiquement baroque, loin s'en faut, et c'est néanmoins magnifique ! Dans ce mouvement, le jeu du pianiste quarantenaire annonce les fameux récitals Bach de la fin de sa vie. Le dernier Allegro s'avère tonique, par un orchestre finalement moins lourd, Richter faisant preuve, si besoin en était, d'une grande virtuosité d'articulation, malgré une main gauche parfois disgracieusement musclée.
Deux mois plus tôt, avec les mêmes partenaires, le grand soliste ukrainien gravait un flamboyant Concerto en fa dièse mineur Op.1 de Sergueï Rachmaninov où tout ce monde semble, il faut bien le dire, plus à sa place. Le tempo relativement mobile qu'adopte Sanderling dans le Vivace initial n'est pas exempt d'un certain génie, usant avec délices d'une bienvenue suavité des cordes. Le second épisode du mouvement se pare même d'une sorte d'impressionnisme que ne contredit pas la terrifiante violence de l'édifice, où les contrastes n'hésitent pas à écorcher l'obligation d'eau-de-rose à laquelle les plus grands n'osèrent déroger ensuite. La cadence révèle la monstrueuse puissance de Richter, une sorte d'ours sentimental. Dans l'Andante, si le pianiste maintient l'inspiration, le chef accentue trop les oppositions, s'approchant dangereusement de la caricature. Moindre mal dans une version que l'Allegro vivace signe dramatique jusqu'au chaos. L'invraisemblable ténacité de Richter tient la pertinence du propos jusqu'à son terme, avec un relief surprenant, une vivacité inépuisable et une précision à couper le souffle.
BB