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Chroniques
Antonín Dvořák
intégrale des trios avec piano
Fort de son expérience du Quintette n°3, nourri au lyrisme des Deux chants moraves pour soprano et piano, Antonín Dvořák s'attelle au Trio en si bémol majeur Op.21 n°1 avec confiance et enthousiasme, au printemps 1875. Les deux essais précédents pour cette formation – piano, violon et violoncelle –, datant de 1821, avaient été détruits de sa propre main. Rapidement, l'autoritaire Allegro molto qui ouvre cette page laisse la place à une sorte de berceuse dont les interprètes soignent ici la demi-teinte. Les membres du Trio Grieg abordent l'œuvre avec une certaine retenue, n'appuyant jamais trop les contrastes, cultivant une indicible tendresse, dans une jouissive mobilité du tempo. Ainsi, l'Adagio molto e mesto ne paraîtra-t-il pas mélodramatique, mais las, dans une lourdeur d'atmosphère d'orage de fin d'été, s'achevant non par les ténèbres habituelles, mais plutôt dans une sereine extinction des plus posées. Après avoir donné à l'Allegretto scherzando une discrète élégance, les instrumentistes laissent peu à peu désirer le brio de l'Allegro vivace, final qui semble fièrement relever la tête.
Le 19 septembre 1875, les Dvořák sont parents pour la seconde fois. Le compositeur, qui travaillait alors à son opéra Vanda, est désemparé lorsque deux jours après, sa fille meurt ; il se promet alors d'écrire un Stabat Mater, qu'il réalisera l'année suivante. Dans l'immédiat, dès l'opéra terminé, Dvořák couche sur le papier les esquisses de son Trio en sol mineur Op.26 n°2 dont il mènera fiévreusement la composition à terme en une quinzaine de jours. Aux deux accords péremptoires qui marquent le début de l'Allegro moderato s'oppose un développement délicat que le Trio Grieg rend avec une grande sensibilité. Ici, le piano est sombre, le violoncelle pleure, le violon crie, parfois ; les coups du destin engendrent douleur et révolte, peu à peu apprivoisées par le chant, jusqu'à une fragile sérénité sourdant à la fin du mouvement. Ici, le Largo qui suit ne s'affirme pas, laissant le chant hésiter, méfiant à l'égard de la vie elle-même, dans une lecture d'une nudité déroutante qui fait son deuil de la rageuse colère du mouvement précédent. Le Scherzo laisse poindre une énergie nouvelle que cette version ne précipite jamais, intériorisant cette musique en résistant pudiquement aux tentations sentimentalistes que d'autres musiciens purent y trouver. D'ailleurs, la danse du Finale, d'abord un rien grinçante, finit-elle par redonner ses droits à la vie ; le Trio Grieg l'aborde toutefois avec une gravité bienvenue.
Ces deux œuvres étant créées en février 1877 (Op.21) et juin 1879 (Op.26), Dvořák laisserait passer sept ans avant d'imaginer un nouveau trio. Alors que son ami Brahms tente de l'attirer à Vienne dont il est persuadé qu'elle offrirait à un musicien provincial les possibilités de développer les relations nécessaires à une plus large diffusion de son art, Dvořák revendique dans cette nouvelle pièce de chambre son ancrage dans le sol natal. Écrit en huit semaines au début de 1883, puis révisé au printemps, le Trio en fa mineur n°3 se démarque largement des productions de ses contemporains, transgressant avec autant de personnalité que de pertinence les règles classiques qu'un Brahms, précisément, préservait avec grand soin. C'est avec une véhémence tout à fait d'à propos que le Trio Grieg s'engage dans l'exécution de cette page colérique, dans une accentuation volontaire qui souligne cependant la construction d'ensemble avec une certaine raideur. De même l'Allegretto grazioso paraîtra-t-il laborieusement articulé, nous faisant dire que les œuvres plus méditatives conviennent nettement mieux à ces interprètes, comme en témoigne le lyrisme exquis avec lequel le troisième mouvement est ensuite abordé ; le chant du violon de Solve Sigerland achève ce Poco adagio dans une suavité délicieuse. Enfin, l'approche de l'Allegro con brio est des plus raffinées, contrariant ses divers caractères, situant ainsi le con brio plus dans le caprice que dans la dynamique.
Alors qu'il vient d'achever son Requiem Op.89 qui l'occupa durant la seconde partie de l'année 1891, Dvořák, à cinquante ans, compose un dernier trio que l'on comparerait difficilement à ses aînés. En six mouvements, le Trio en mi mineur Op.90 n°4 est une suite de Dumky s'intégrant de manière complexe à la construction d'ensemble. Cette œuvre étant l'une des quatre pages les plus célèbres de Dvořák (avec le Quatuor Américain, les Danses slaves et la Symphonie du Nouveau Monde), nous nous accordons de moins nous attarder sur sa présentation. L'interprétation de la formation norvégienne est d'une profondeur inouïe, s'imposant particulièrement dans le Poco adagio. Le Trio Grieg signe avec cet enregistrement une intégrale des Trios avec piano de Dvořák d'une grande unité de ton.
BB