Recherche
Chroniques
Vivaldi par Matheus et Jean-Christophe Spinosi
Tout a une fin : notre feuilleton du fort intéressant Festival de Sablé s'achève sur la chronique de deux concerts des dernières journées, deux moments chantés qu’habitèrent bonne humeur et généreuse énergie.
En l'Église Saint-Jean Baptiste de La Chapelle d'Aligné, c'est à untea-time entièrement dédié à la musique de Marc-Antoine Charpentier que nous assistions vendredi, ouvrant pour nous la grande fête du tricentenaire Charpentier qui rassemblera toute la gente baroqueuse cette année, à Versailles comme Ambronay ou ailleurs. On connaît l'ensemble Amarillis à travers les interprétations sensibles que l'on put goûter ici et là au hasard du calendrier musical et par le disque. Avec une parution Händel et un bel enregistrement de concerti pour flûte et pour violoncelle de Vivaldi (Ambroisie) que nous avions eu le plaisir de vous présenter il y a quelques mois [lire notre critique CD], cette formation semble affectionner l'Italie, comme en atteste le programme d'aujourd'hui, puisque les élégantes pastorales de Charpentier ont largement hérité du style italien apprivoisé grâce aux conseils du grand Carissimi lors d’un séjour romain. S'ouvrant avecAmor vince ogni cosa H.492, ce rendez-vous offre l'avantage d'un bouquet de voix expertes, à commencer par celle du ténor Jean-François Novelli, toujours d'une fiabilité exemplaire, qui affirme sans affectation un style délicieux. Moins à son aise, Robert Getchell déçoit parfois, dans une tessiture intermédiaire peu flatteuse où il s'avère sonore mais souvent brutal et raide. Le timbre de la basse Jean-Baptiste Dumora paraît d'abord artificiellement coloré, jusqu'à ce que le chanteur cesse de le masquer, peut-être pour vaincre une tension, et laisse s'épanouir une voix bien plus intéressante au naturel. L'œuvre convoquant deux sopranos, c'est avec grand plaisir qu'on retrouve Valérie Gabail au timbre égal, souple, et magnifiquement sonore.
La couronne de fleurs H.486 est une pastorale composée à partir d'un texte de Molière qui réunit le même effectif vocal, et qui n'a pas été rejouée en public depuis sa création. Valérie Gabail la sert par une diction exemplaire du français, permettant que l'on suive chaque phrase sans se laisser absorber par le livret, et une expressivité précieuse sans manière. Robert Getchell est ici nettement plus convaincant et les ensembles fonctionnent parfaitement. Entre ses deux pièces, Amarillis donne la Suite en ré mineur à quatre parties en affirmant un climat particulier à chaque mouvement. Si une tendre gravité marque le Prélude, l'Allemande se veut plus légère, tandis qu'une élégante nostalgie vient habiter la Sarabande, avant une Gigue angloise très brillante, puis une Gigue françoise enlevée, finissant par une Passacaille délicatement nuancée venue couronner une interprétation raffinée. Cédant à l'enthousiasme du public, les artistes offrent une belle Chaconne et deux Airs à boire (toujours du même auteur) inattendus et fort drôles.
Une vingtaine de minutes de voiture, un rapide dîner et la fête se poursuit au Centre Culturel de Sablé par un concert de l'ensemble Matheus, une fois de plus au service du Prete rosso dont il explore l'œuvre avec passion depuis quelques années. Initialement intitulé Un concert pour l'Electeur de Saxe, le programme subit de nombreuses modifications puisque les chanteuses Veronica Cangemi et Marie-Nicole Lemieux s'étant décommandées, il doit s'adapter à l'arrivée tardive de deux autres artistes, Ann Hallenberg et Philippe Jaroussky. Un Lorenzo Regazzo en excellente forme ouvre le feu avec un extrait de L'Olimpiade magnifiquement vocalisé. Ann Hallenberg enchaîne une aria d'Orlando furioso d'une voix large toujours souverainement égale, libérant dans la vocalise des possibilités que les premiers pas retenaient discrètement. Jaroussky se lance dans un air tiré d'Ottone in Villa – premier opéra deVivaldi, créé à Vicence en 1713 [lire notre chronique du 8 février 2004] – avec une fougue déterminée et d'une voix sensiblement mieux chauffée qu’hier [lire notre chronique de la veille].
Au fil de la soirée, les chanteurs livrent de grands moments, à travers des passages de La fida ninfa et Semiramide, entre autres, accompagnés parJean-Christophe Spinosi, particulièrement électrique aujourd'hui, dont à plusieurs reprises l’on regrette la tendance à tout surcontraster, peut-être dynamisante mais souvent nuisible. À proposer des pianississimi à la limite de l'audible, encore faut-il nécessairement qu'aucunbruitvienne parasiter l'écoute ; un archet reposé un peu lourdement, une attaque légèrement décalée et bien d'autres détails viennent largement contredire une option intéressante en soi mais invalide. L'altiste Malik Haudidier surprend son monde en donnant un Concerto pour flûte à bec et flûte a traverso (Jean-Marc Goujon) de Telemann où l'on admire une grande agilité. Le public réserve à ces artistes un accueil chaleureux, reconnaissant aux voix d'avoir donné le meilleur d'elles-mêmes dans des conditions de dernière minute, et le chef de s'être adonné à son gentil petit numéro – près tout, Vivaldi lui-même ne détestait pas de plaire...
BB