Chroniques

par monique parmentier

ultimes chefs-d’œuvre sacrés
André Campra par Olivier Schneebeli

Chapelle Royale, Château de Versailles
- 9 octobre 2010

C’est dans le cadre d’un baroque finissant mais au combien flamboyant de la Chapelle Royale du Château de Versailles que le Requiem d’André Campra raisonne ce soir. Pour ces journées d’automne, le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) a décidé cette année de célébrer de Grandes Journées Campra.

Si le compositeur bénéficia de son vivant d’une certaine notoriété, la postérité ne lui a peut-être pas toujours accordé la place qui lui est due. Ses œuvres, enserrées entre celles de Lully et de Rameau, possèdent pourtant un style de grandes originalité et beauté. Cet aixois d’origine italienne, qui succéda à Lalande comme sous-maître de Chapelle à Versailles en 1723, écrivit en particulier de nombreux grands motets avec un sens dramatique et lyrique qu’il doit peut-être à ses origines.

Ultimes, comme l’indique le titre choisi pour ce concert, les deux œuvres proposéesici le sont par ce qu’elles expriment. Pour le musicien, d’abord, dont la version proposée ce soir de l’In Convertendo est réécrite par André Campra en 1726 à partir d’un motet dont il conçut la première version vingt-trois ans plus tôt. Il faut souligner qu’à l’occasion des ces Grandes Journées il s’agissait d’une recréation. Ainsi découvre-t-on un motet de style décoratif de grandes rareté et sensibilité. La composition de l’orchestre laisse constater combien le passage de la Régence et le début du règne de Louis XV permit à la musique de prendre son envol, loin des dictats qu’avait longtemps imposés la musique de Lully. L’orchestre à cinq parties a disparu pour céder la place à une structure à quatre (sans la quinte de violon), et l’on voit y apparaître un instrument soliste, la flûte allemande, qui introduit avec les voix un dialogue plein de charmes et de compassion.

La seconde partie est consacrée au Requiem, une œuvre grave et poignante qui emporte les auditeurs sur un chemin de lumière en exorcisant les peurs et en apaisant les douleurs. Une fois de plus, Olivier Schneebeli maîtrise l’acoustique de la Chapelle Royale en lui rendant toute son ampleur. Sous sa direction brillante, fervente et soutenue, Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque font vivre cette musique si poignante avec une émotion perceptible. Accompagné par l’Orchestre des Musiques Anciennes et à Venir, les trois solistes, ainsi que quatre jeunes pages solistes et le chœur, font resplendir cette partition dédiée à l’ultime passage si douloureux que seule l’incandescence musicale peut transcender.

En une pulsation délicate et vibrante, la supplique merveilleusement interprétée de ce Requiem fait de cet appel désespéré une prière intime, universelle et heureuse. Les solistes adultes - Robert Getchell, Jean-François Novelli et Marc Labonnette - possèdent tous trois le timbre idéal, s’unissant parfaitement dans les ensembles. La fragilité bouleversante de deux des jeunes pages dans leur passage soliste porte les traces de la fragilité humaine face à l’incommensurable. L’on ne pourra qu’être ébloui par la maîtrise vocale dont tous quatre font preuve et par la profondeur de leur interprétation.

De la composition de l’orchestre renaît également toute l’intensité de la musique religieuse de Campra. Le serpent qui introduit le Requiem en fait sonner les premières notes comme un appel provenant des profondeurs abyssales de l’âme humaine ou de l’univers. La flûte de Judith Farrey apporte toute la sensibilité et la tendresse d’un dialogue entre l’infini et l’être humain. Si les cordes manquent parfois d’un peu de fantaisie, la complicité des musiciens (entre eux et avec le chœur) ne peut qu’emporter notre enthousiasme.

MP