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Randall Goosby, Orchestre national de France, Cristian Măcelaru
œuvres de Piotr Tchaïkovski, Elsa Barraine et Maurice Ravel
Aujourd’hui, l’Orchestre national de France inaugure à la Philharmonie un programme appelé à voyager : au début du mois de novembre, il traversera l’Atlantique pour une tournée nord-américaine. Sous la baguette de son actuel directeur musical, Cristian Măcelaru, il ouvre la soirée avec le Concerto en ré majeur Op.35 de Tchaïkovski, confié au jeune violoniste Randall Goosby. À vingt-neuf ans, l’artiste étatsunien se présente pour la première fois à Paris, et armé d’un Stradivarius de 1708. Malgré la distinction évidente dont elle fait preuve, son interprétation ne convainc pas pleinement : lui manque cette dimension épique qui transformerait l’exactitude en précision véritable.
D’emblée l’on est frappé par un introït orchestral un brin pesant, puis le chef infléchit son abord vers la ligne indéniablement subtile que trace le soliste. Saluons l’honnêteté du jeu et sa rigueur scrupuleuse, tout en déplorant l’absence de lyrisme. Tout est bien propret, mais sans prise de risque et comme privé de corps. Sans convaincre, la Canzonetta centrale s’étire. Tournant bientôt au décoratif, le Finale affiche la maîtrise lisse d’un soliste dont la virtuosité, assurément confortable, ne suscite guère d’enthousiasme profond. Remerciant un public qui n'y trouva pas ombrage, Randall Goosby offre en bis un blues en solo de Coleridge-Taylor Perkinson, parfaitement exécuté. On y entend un frémissement tout autre, un sourire, peut-être.
La Deuxième Suite de concert du ballet Daphnis et Chloé de Ravel vient somptueusement conclure ce menu, dans une approche infiniment soignée qui en souligne la délicatesse essentielle. Son Lever du jour, avec les oiseaux naissants dans l’alliance inouïe des flûtes et d'un halo de cordes, fut sans doute le moment le plus précieux du concert. L’ONF et Cristian Măcelaru ont fêté en bonne et due forme le 150ème anniversaire de la naissance du compositeur, notamment à travers une série de concerts durant la saison passée, ayant fait l’objet d’une captation désormais disponible en trois CDs (Naïve). Ce Daphnis témoigne parfaitement d’une aventure complice que caractérisent souplesse et sensualité. On en goûte les flûtes remarquables, la soie des cordes et de savants alliages de timbres, idéalement rendus. Sarah Nemtanu (premier violon solo) y brille d’une couleur au raffinement inouï, et les bois ravissent. Le geste orchestral gagne bientôt en vastitude et la danse entre en pleine lumière, au fil de cette lecture qui bénéficie d’un équilibre rare.
Au cœur du programme, la Deuxième Symphonie d’Elsa Barraine [photo], intitulée Voïna – en russe, la guerre : nous étions en 1939 et la compositrice savait bien vers où s’acheminait l’Europe. Injustement marginalisée par l’histoire musicale, l’œuvre fut donnée par les mêmes interprètes à la Maison ronde, en septembre 2024. Et ce mois-ci, la collection discographique Tempéraments de Radio France a fait paraître l’enregistrement de quatre opus de la musicienne, convoquant l’orgue et les percussions.
Dès les premières mesures de Voïna, une entrée gracieuse à la flûte, qu’on pourrait croire signée de la main de Poulenc, installe une atmosphère singulière. Puis la tension monte, dans une vigueur roborative qui semble marier la manière d’Honegger à celle de Chostakovitch. Le chef développe un appréciable sens du phrasé. L’excellente des pupitres réjouit l’oreille, à commencer par les vents – Silvia Careddu à la flûte, Mathilde Lebert à l’hautbois et Marie Boichard au basson. Saluons la lumière qu’Émilie Gastaud apporte de la harpe, ainsi qu’Alexandre Giordan dans la partie de violoncelle du mouvement médian, dont il revient à Sarah Nemtanu d’éclairer l’achèvement. En grande forme, les cuivres mordent sans brutalité, laissant à peine poindre un désir d’emphase sagement contrit. Tout juste regrette-t-on une relative minceur des cordes, sans doute contenues par l’acoustique aléatoire de la Philharmonie. Bon voyage aux artistes de l’ONF et à leur directeur musical, qui jouent en bis une page du compositeur roumain Grigoraș Dinicu (1889-1949).
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