Chroniques

par emmanuel andrieu

récital Cecilia Bartoli
Ada Pesch dirige La Scintilla

Opéra national de Montpellier / Corum
- 6 octobre 2010

Evénement à Montpellier que la venue de la célébrissime et (sur)médiatisée Cecilia Bartoli qui ne s'y est jamais produite. Tout ce que la ville compte en beautiful people est présent, tandis qu'une foule n'ayant pu se procurer le précieux sésame s'amasse aux portes de l'Opéra Berlioz à la recherche désespérée d'une place.

Avec un an de retard sur Paris, c'est donc par la capitale du Languedoc que la Bartoli débute la tournée française (avant Bordeaux, Toulouse et Strasbourg) de son récital Sacrificium, programme du disque paru il y a un an, mois pour mois, et qui connaît depuis un énorme succès commercial. Pour les spectateurs ayant déjà pu assister au récital du Théâtre des Champs Elysées, le concert de ce soir ne fait pas forcément doublon car le mezzo-soprano romain y ajoute trois airs de Sospiri, son tout dernier disque – un peu de marketing ne faisant jamais de mal, surtout qu'il s'agit d'une compilation – sorti seulement deux jours plus tôt.

À peine surgit-elle des coulisses (en costume de mousquetaire) que la salle lui fait une fête à tout rompre, à l’avance acquise à sa cause. Et las, ne boudons pas notre plaisir, si elle en fait des tonnes par le jeu et autres simagrées habituels, l'agacement fait vite place au plaisir, voire au bonheur qu'elle sait distiller, au gré de morceaux choisis avec soin, tour à tour ébouriffants de virtuosité dans les airs de bravoure – tels le Cervo in bosco tiré du Medo de Leonardo Vinci ou le Nobil onda extrait de l’Adelaide de Niccoló Porpora – ou bouleversants dans les lamenti – notamment l'air Lascia la spina tiré lui du Trionfo del tempo e del disinganno de Händel.

Porpora, Vinci, Riccardo Broschi, Händel ou le plus obscur Francesco Araia sont conviés au festin vocal qu’a concocté Cecilia Bartoli, eux qui firent les beaux jours des cours européennes au XVIIIe siècle avec ce véhicule majeur que furent les castrati, Farinelli et Cafarelli en tête, pour lesquels a été composée la quasi totalité des airs chantés ce soir, airs que la star, aidée par son frère, est allée dénicher dans les remises de bibliothèques aux quatre coins de l'Italie.

Côté concert, on reste médusé par l'investissement tant vocal que scénique de la chanteuse, proprement phénoménal. Sur le strict plan vocal, comment ne pas admirer sa technique miraculeuse et la maîtrise absolue de son instrument. La couleur unique du timbre, le souffle comme infini, l'art de vocaliser avec un ambitus prodigieux, des piani d'une beauté toute céleste, sa musicalité de tous les instants enfin, galvanisent l'auditoire et finit par le laisser pantois Par ailleurs, la façon qu'elle a de vivre intensément le chant, notamment dans ses fureurs et ses emportements, ou de susurrer les airs lents, comme s'ils étaient les derniers, donne le frisson.

L’orchestre La Scintilla n'est pas en reste, servant de formidable écrin à cette voix. Menée avec une énergie et une précision éblouissantes par la Konzertmeister Ada Pesch, la formation suisse crépite de mille feux - avec une mention spéciale pour les deux formidables cors naturels - et enthousiasme dans les Sinfonie de Scarlatti ou Porpora.

Pour finir, nous tenons à saluer l'artiste pour la générosité de son programme - près de trois heures de concert ! Nous voilà donc très loin de l'indigence du même exercice par certain(e)s autres. Saluons surtout son professionnalisme quand, à la toute fin du concert, l'opéra se voit plongé dans un noir complet suite à une panne électrique et que la Diva, loin de se démonter ou de s'en offusquer, continue à chanter puis à entonner son premier bis, comme si de rien n'était, dans une pénombre totale.

Chapeau bas !

EA