Chroniques

par bertrand bolognesi

Piotr Anderszewski dirige Sinfonia Varsovia

Festival International de Colmar / Église Saint Matthieu
- 9 juillet 2003
le pianiste Piotr Anderszewski photographié par Sheila Rock
© sheila rock

Avec plaisir, nous retrouvons l’orchestre Sinfonia Varsovia [lire notre chronique du 8 juillet 2003] dans un programme entièrement consacré à Mozart. Depuis le clavier, le pianiste Piotr Anderszewski dirige la formation avec laquelle il se produit régulièrement depuis un presque deux ans (comme en témoigne la gravure sur CD des Concerti n°24 et n°21 pour Virgin). Le Concerto en sol majeur K.253 n°17 composé pour une élève qui avait à jouer une nouveauté en public, en avril 1784, ouvre la soirée. Il est sans doute le plus contrasté, le plus varié et inventif du catalogue mozartien.

En janvier 2002, nous entendions ces mêmes interprètes (Théâtre de la Ville, Paris) dans un répertoire comparable (Concerto en ut majeur K.467 n°21 de Mozart, et Concerto Hob.XVIII/11 de Haydn) et constations le manque d’efficacité évident d’Anderszewski en tant que chef : gestique peu lisible, pas de vrais choix musicaux, aucune recherche de sonorité et nombreux décalages rythmiques. Aujourd’hui, dès l’Allegro on remarque une nette amélioration. Une toute nouvelle économie du geste semble avoir quelque effet sur le travail des musiciens. Son ouverture s’affirme dans une élégance bienvenue et l’ensemble bénéficie d’une mise en relief intéressante. L’entrée du piano se fait avec une certaine retenue, forçant positivement l’écoute, et préparant fort justement le second mouvement (puisque le troisième thème deviendra la phrase principale de l’Andante). Pas de quoi s’extasier non plus : l’équilibre entre soliste et orchestre n’est pas réalisé. Le thème du basson s’en trouve à peine audible. Une bonne exécution n’est pas nécessairement celle qui cherche à indiquer une analyse, mais encore celle qui enterre le principal n’y prétendra-t-elle pas plus sûrement.

On reconnut maintes fois au pianiste un art de ciseleur du son : rien de tel pour ce concerto dont tout au plus on reçoit des aigus soignés. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de cantonner un artiste dans ce que l’on pense qu’il saurait faire, mais nous regrettons qu’il se situe ce soir en-deçà de ce qu’il réalisait de mieux jusqu’alors. La cadenza est proprement catastrophique. Rien de précis, le rythme sombre dans un chaos qui donne le mal de mer, les traits sont littéralement savonné, approximatifs, et la frappe exagérément précieuse, voire « chichiteuse ». L’Andante se trouve infiniment mieux traité, bénéficiant d’une sonorité plus intéressante, délicatement articulée, avec de sensibles pianissimi, et ménage une vraie place au trio flute-hautbois-basson du second motif. Nous y goûtons les qualités des instrumentistes varsoviens. Surpris d’un andante pris comme un adagio, cela dit, la proposition nous semble adroitement tenue, cependant. Le mouvement s’en fait douloureux, recueilli et sombre. L’étirement du tempo amène une gravité troublante où la manière de faire venir comme de très loin les trilles prend une dimension chargée qui laisse entendre Beethoven. Piotr Anderszewski aborde avec raffinement l’énigmatique arpège de septième diminuée de la seconde cadenza, sans écraser outre mesure les basses. Il amène une coda que la plupart des pianistes ont tendance à ralentir pathétiquement et qu’il préserve de ces exagérations. Malheureusement, le troisième mouvement (Allegretto, Presto) souffre de savonnages épouvantables, d’un jeu à l’arraché, l’orchestre en arrivant à ne plus terminer les phrases au même instant. Rappelons que Mozart trouva le thème des cinq variations de la première partie du mouvement en notant un chant d’oiseau ; on sait la régularité extraordinaire des improvisations des oiseaux, ne confondant pas complexité des cellules rythmiques avec l’éternité d’un mètre. Ce soir, sans doute l’oiseau, dans ces hoquets disgracieux, pourrait-il se laisser supposer quelque peu aviné.

La seconde partie de la soirée commence par l’Ouverture K.486 du Schauspieldirektor, opéra d’un acte composé deux ans après l’œuvre précédemment commentée. Rien de bien concluant, qu’il s’agisse du compositeur ou de l’interprète. Au printemps de la même année, Mozart terminait le Concerto en ut mineur K.491 n°24. Ici, l’orchestre semble mieux coordonné. À y regarder de plus près, force est de constater que le premier violon supplée discrètement un chef devenu décoratif. On trouvera immanquablement ces mots peu aimables : nous aimons à croire que tenant un artiste en haute estime il est préférable de dire les choses telles qu’elles se sont réellement passées. Avec une entrée maladive, outrageusement détimbrée, comme éteinte, au piano, des ploum-ploums affreusement lourds à l’orchestre, des instrumentistes trop livrés à eux-mêmes pour soigner toujours leurs phrases, un troisième mouvement étonnement joueur et anodin (une page des plus noires), pris andantino alors qu’il est indiqué Allegretto, avouons qu’il y a de quoi s’en trouver dérouter dans l’estime portée au pianiste qu’il nous tarde de retrouver en meilleur forme musicale.

BB