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Chroniques
Philippe Manoury
Fragments pour un portrait, Passacaille pour Tokyo, Neptune
C’est un concert monographique que l’on joue ce mercredi à la Cité de la musique, avec trois œuvres de Philippe Manoury. Son vaste cycle Sonus ex machina fut construit de 1987 à 199 autour du processeur 4X ; il s’ouvre largement vers de nouveaux chemins. Quatre pièces : Jupiter pour flûte, Pluton pour piano, La Partition du Ciel et de l’Enfer pour flûte, deux pianos et orchestre, et enfin Neptune pour trois percussions, qui débute cette soirée. Si la forme des trois précédentes avait été préméditée avant la réalisation finale, celle de Neptune s’est au contraire peu à peu imposée d’elle-même au fur et à mesure de l’avancement des travaux. L’exploration de l’interactivité instrument/ordinateur, régie par une vraie réflexion sur la question, est le sujet principal du cycle. Ici, redécouvrant sa propre partition de Livre des claviers, le compositeur choisit un dispositif instrumental particulier qui oriente très certainement ses manipulations. Pas de musique enregistrée, bien sûr, mais un suiveur en temps réel qui directement agit sur les sons émis, en fonction du jeu des musiciens. Les échanges de sonorités en deviennent complexes, si bien qu’on ne sait plus d’où ils viennent, si les cloches ne sont pas devenues voix humaines, etc. Les percussionnistes de l’Ensemble Intercontemporain, Michel Ceruti, Samuel Favre et Vincent Bauer, semble évoluer avec plaisir dans cette œuvre.
La deuxième partie présente une des pièces les plus souvent jouées de Manoury, la Passacaille pour Tokyo composée en 1994 pour le pianiste Ichiro Nodaïra, créateur de Pluton six ans plus tôt. Un piano soliste avec un ensemble de dix-sept instruments sur scène, et un « piano-double », ou « piano-ombre », en coulisses, qui fait écho aux traits du premier. La version ici entendue diffère beaucoup des précédentes, avec un piano « au devant » d’un ensemble qui sonne assez sourdement, comme dans une brume, presque perdu. Du coup, l’effervescence habituelle ne sy trouve plus. On se souvient de l’audition de l’œuvre à Radio France en février 1997 par Idéki Nagano (qui joue ce soir) et Mark Foster, beaucoup plus nerveuse et d’une clarté incomparable. La sonorité travaillée par David Robertson est déroutante, surtout si l’on se souvient de celle privilégiée par Pierre Boulez en mars 2001. En tout cas, nous apprécions le solo de piano en début de troisième tiers, avec ses jeux précis de tenues, de pédale, de piquées, etc. Le final opère sans éclat.
Dernière œuvre au programme : Fragments pour un portrait pour ensemble, créé dans cette salle par la même équipe, il y a cinq ans lors d’un concert-atelier. La règle se confirme : après un peu de temps, on obtient une interprétation moins raide d’une œuvre. Les sept mouvements qui la composent sont souplement enchaînés, dans une belle évidence. Toutefois, nous retrouvons une impression curieuse de sonorité assourdie, comme si l’EIC et son ancien patron brouillaient les pistes – à moins que ce ne soit Manoury lui-même qui ait souhaité un déséquilibre où le médium envahirait les autres hauteurs.
BB