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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
Après un Ring largement salué par le public et la critique (et repris in loco lors des deux prochaines saisons), c’est Parsifal que présente aujourd’hui Pierre Audi dans sa maison amstellodamoise. Concentrant la cérémonie sur ce midi où l’homme alors sans ombre communie dans le miracle du Graal, il impose un regard sensible et porté haut sur le dernier opus wagnérien. Confier les décors au plasticien Anish Kapoor se révèle d’emblée un atout qui seconde avantageusement sa démarche, en bonne complicité.
Ainsi d’un premier acte de terre et de cendre, noir et rouge, où la faute personnifiée par Amfortas se trouve coagulée, pour ainsi dire, dans un Montsalvat rocheux et magmatique. De même d’un tableau médian somptueusement absorbé par un miroir en sphère, comme Kapoor en a le secret, dans les bosses irrégulières duquel se reflètent ingénieusement les chatoiements plus que jamais séducteurs des filles-fleurs. Et enfin d’un ultime épisode qui fait du midi révéré une éclipse de sens au profit du symbole.
Cette esthétique du reflet (qu’on lira tour à tour écran, leurre, bouclier, etc.) opère avec une pertinence rare, réinscrivant chaque protagoniste dans une fonction qui le dépasse (à l’exception de Kundry, peut-être), fonctions qui se répondent en un ciel extatique rendu accessible par l’innocence, fut-elle criminelle – pour commencer, partant que le meurtre jovial du cygne pur pourrait n’opérer en fait que la cristallisation du mystère qui victimise le fils (Amfortas). Des ors arrogants de Klingsor aux demi-teintes sensuellement ouvragées de ses pernicieuses chimères, c’est aussi sur la symphonie qu’il fait compter, l’image inversé de la battue et de son grand prêtre intégrant génialement la contingence du monde (le public) au bon ordre cosmogonique retrouvé (l’œuvre d’art).
À parler fosse, nous entendons ce soir le prestigieux Koninklijk Concertgebouworkest (Orchestre royal du Concertgebouw) qui affirme un précieux équilibre entre pupitres. Les vents dominent : bois colorés et cuivres délicatement phrasés sont autant de ressources magistralement utilisées par Iván Fischer [dont nous entendions tout récemment le frère aîné diriger Tannhäuser – lire notre chronique du 3 juin 2012] qui signe un Parsifal sans pesanteur, d’âpre méditation plutôt que de solennité convenue. Aux forces instrumentales s’associent celles du Kinderkoor De Kickers van Muziekschool Waterland (conduites par Lorenzo Paolo) et les voix du Koor van De Nederlandse Opera (Chœur de l’Opéra Néérlandais), dûment préparées par Martin Wright.
Le Muziektherater d’Amsterdam peut à juste titre s’enorgueillir de cette production jouée sous les drapeaux du Holland Festival, car à la réussite orchestrale et à l’éblouissement de la scène répond un plateau vocal comme on en croise peu. On ne manquera pas d’en saluer l’efficace bouquet central – Lisette Bolle, Melani Greve, Inez Hafkamp, Oleksandra Lenyshyn, Tomoko Makuuchi et Rosanne van Sandwijk –, ainsi que l’Écuyer remarquablement incisif du jeune ténor Erik Slik. Le quintette principal mène somptueusement le jeu. En grande forme vocale, Falk Struckmann s’avère un Gurnemanz solide qui ose une véhémence cohérente, bien que souvent laissée pour compte par d’autres interprètes. Alejandro Marco-Buhrmester propose un Amfortas de révolte et de nuances dont le troisième acte happe l’écoute. Admirable Hunding d’Aix [lire notre critique du DVD], le jeune baryton-basse Mikhaïl Petrenko campe un Klingsor immensément vocal qu’on n’est pas prêt d’oublier ! Le grain pénètre incroyablement l’écoute et la présence brûle les planches.
Nous retrouvons l’excellente Petra Lang [lire notre chronique du 28 mars 2004] : après quelques mesures un peu instables, le grand mezzo allemand reprend ses marques et livre, d’un timbre généreusement coloré, une Kundry bouleversante, plus visionnaire conscientisée que médium hallucinée. Enfin, c’est Christopher Ventris qui assume le rôle-titre. La vaillance qu’on lui connaît bien est au rendez-vous de l’Acte I, assurément, mais encore soigne-t-il hardiment la ligne de chant redoutablement entrelacée du II, pour révéler dans le III un art subtil de la nuance. Aisément respiré, son Parsifal est évident.
La saison 2012/2013 sera celle du bicentenaire de la naissance de Wagner, on le sait. Avec le nouveau Ring de la Bayerische Staatsoper conclu le mois prochain lors de l’Opernfestspiele, ce Parsifal ouvre la fête qui tiendra en haleine le wagnérien jusqu’à l’été suivant, celui du Ring de Bayreuth. Outre la reprise de Rheingold et de Walküre en novembre et en avril, l’Opéra Néerlandais est à situer en place avec Die Meistersinger von Nürnberg, ici-même dans un an, dans une vision de David Alden et sous la baguette de Marc Albrecht, nouveau directeur musical de la maison. Quant au public français, après Tannhäuser [lire notre chronique du 17 juin 2012] c’est à Toulouse qu’il pourra voir le trop rare Rienzi (dirigé par Pinchas Steinberg dans une production que signera Jorge Lavelli), fin septembre.
BB