Recherche
Chroniques
ouverture du festival
Esa-Pekka Salonen, bon chef et piètre compositeur
Ouverture, ce vendredi, du vingt-et-unième édition de Présences, le festival de création de Radio France qui, après trois ans d’errance, retrouve cette année un lieu unique parisien. L’édition 2011 est consacrée au compositeur chef d’orchestre finlandais Esa-Pekka Salonen. L’Orchestre Philharmonique de Radio France, en recherche d’un successeur à Myung Whun Chung pour 2014, est le fer de lance de cette manifestation hivernale ; il donne l’ensemble de l’œuvre orchestrale et chambriste de Salonen, dont quatre opus dirigés par lui-même.
Parmi un corpus d’une quarantaine d’œuvres composées en trente-cinq ans, trente-cinq sont programmées durant le festival, dont deux créations mondiales. À l’instar d’un Pierre Boulez mais, contrairement à lui, après avoir appris la direction d’orchestre à l’Académie Sibelius d’Helsinki, Salonen fonde à dix-neuf ans son propre ensemble de création musicale, en 1977, avec des camarades de la classe de composition, l’association Korvat auki (Ouvrez vos oreilles) qui le conduit à diriger ses premiers concerts. Il appartient à cette génération née en 1958 comptant dans ses rangs les Jarrell, Matalon et Pesson, pour ne citer qu’eux, qui, aujourd’hui, atteignent leur pleine maturité et attestent d’une réelle personnalité. En revanche, comme son compatriote Magnus Lindberg, né la même année et lui aussi formé à l’Académie Sibelius, Salonen semble avoir tourné casaque en adoptant un style et une écriture conventionnels et, surtout, plus consensuels, comme happé par l’American Way of Life.
Il demeure néanmoins confirmé et mûri en tant que chef d’orchestre, comme il le démontra en maintes occasions, autant au disque qu’au concert, à l’Orchestre de Paris dans le Klagende Lied de Mahler [lire notre chronique du 18 décembre 2008] ou encore avec son Philharmonia dans la Symphonie lyrique de Zemlinsky [lire notre chronique du 4 mars 2009], entre autres, voire dans la fosse, notamment à l’Opéra national de Paris dans un Tristan und Isolde inoubliable en avril 2005. Conformément à la crainte ressentie lors de son dernier concert avec l’Orchestre de Paris où il dirigea un Concerto pour violon et orchestre de Richard Dubugnon pour le moins convenu et fleurant la naphtaline, la musique d’Esa-Pekka Salonen est devenue d’un conventionnel excessif, confinant à la trahison de sa propre personnalité.
Sa prestation de chef n’a pas déçu. Le Philhar’ s’est montré beaucoup plus homogène que l’ONF la veille au soir [lire notre chronique], sans être pour autant exempt de petites approximations et de légers décalages. Néanmoins, timbres et attaques ont été quasi parfaits,et le plaisir de jouer évident. Reste que le charmant et frais Un sourire, hommage à Mozart, fondé sur un simple accord de quatre notes se métamorphosant sereinement, qu’Olivier Messiaen a composé pour cette formation qui le créa le 5 décembre 1991 sous la direction de Marek Janowski, est apparu froid et distant.
Le moment consternant de la soirée a été l’interminable et bruyant pensum de Salonen intitulé Insomnia, colossal flan flasque digne de Walt Disney, judicieusement qualifié de « grotesque » à la fin de l’exécution par une voix aiguë fusant de la salle, profitant du long silence confus qui enserra le Châtelet stupéfait par de telles platitudes. Composé en 2002 pour Suntery Ltd et la NDR de Hambourg, dédié à Christoph Eschenbach et créé le 1er décembre 2002 à Tokyo par le NHK Symphony Orchestra dirigé par l’auteur, Insomnia, qui se veut descriptif d’une nuit agitée, se présente sous l’aspect d’une suite de variations mécaniques ponctuées par une ritournelle sur une pédale de mi, et requiert un énorme orchestre à dominante sombre avec quatre tubas Wagner.
La seconde partie était ouverte par un court et frais mais peu convainquant chœur d'enfants a capella de Salonen, Dona nobis pacem, commande de Radio France donnée en création mondiale, mélodie tournant lentement sur elle-même illustrant les trois mots qui ferment l’Agnus Dei de l’ordinaire de la messe.
Le morceau de choix était réservé à la fin, avec rien moins que le Requiem de György Ligeti, immense chef-d’œuvre du XXe siècle, encore trop rare au concert, inexplicablement. Mettre cette fantastique partition en regard de deux œuvres de Salonen peut trahir de sa part soit une forte idée de lui-même, soit de l’inconscience soit, au contraire, une réelle lucidité quant au chemin qui lui reste à parcourir – un Ligeti qu’il prend pour modèle et avec lequel il travailla avant que de se quereller lors de la production de l’opéra Le Grand Macabre (par Peter Sellars) qu’il dirigeait à Salzbourg puis au Châtelet tandis qu’il était sur le point d’enregistrer (Sony) l’intégrale de l’œuvre pour orchestre, projet inabouti à cause de cette querelle. Il faut dire qu’à la fin de sa vie le compositeur était pour le moins exigeant…
Quelles que soient les raisons de sa programmation, le Requiem que Ligeti composa en 1963-1965 – la création fut donnée à Stockholm le 14 mars 1965 sous la direction de Michael Gielen – et révisa en 1997 atteste combien le maître hongrois avait de génie, tant l’œuvre est dense, puissante, hallucinée, d’une richesse sonore, d’une énergie poignante et grandiose, la polyphonie magistralement élaborée, la dramaturgie incroyablement charpentée, avec le murmure si serré qu’il confine à l’immobilité de l’Introitus, précédant la houle angoissante du Kyrie, puis un Dies irae (De die judicii sequentia) qui alterne déflagrations du chœur et de l’orchestre et interventions des solistes à la limite du cri. Enfin le Lacrimosa s’éteint dans une rumeur glaciale. Barbara Hannigan (soprano) et Virpi Raïsänen-Midth (mezzo-soprano), remarquables, le Chœur et l’Orchestre Philharmonique de Radio France se sont montrés à leur meilleur, dirigés avec tact et un nuancier impressionnant par un Salonen au geste précis, semblant pétrir la pâte sonore qui gronda telle la lave en fusion.
BS