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Chroniques
Minoret, Desmarets, Marchand et de Lalande
Les Pages et les Chantres du CMBV
Après un tout premier concert consacré au Cheval Baroque, le CMBV débute sa nouvelle saison d’automne avec sa maîtrise : Les Pages et les Chantres et leur chef Olivier Schneebeli. Pour ce concert, de gros moyens ont été déployés afin d’en faire un moment exceptionnel, puisque nous retrouvons à leur côté un orchestre allemand d’excellente réputation venu en nombre conséquent, l’Akademie für Alte Musik Berlin, et, pour agrémenter les pièces vocales et profiter de l’orgue de la Chapelle, la présence de Michel Bouvard, instrumentiste de réputation internationale.
Certains ont pu regretter le choix d’une œuvre de Minoret en ouverture de programme. Car pour être totalement inédit, le motet Usquequo Domine met plutôt en valeur la voix soliste (basse) que le chœur lui-même, bien que sa disposition (grand chœur, petit chœur, solistes extraits de ce dernier) soit, pour le moins, originale.
Guillaume Minoret arriva à Versailles un an après l’installation officielle de la cour en ces lieux. Jusqu’en 1714, il fut sous-maître de chapelle aux côtés de Lalande. De lui il ne reste que quelques motets. Si sa musique est intéressante, elle n’atteint pas au sublime – le soliste lui-même, Alain Buet, nous y parait étranger, s’y économisant. En la jouant, le CMBV répond avant tout à l’une de ses missions : celle de la redécouverte, au risque (évidemment) d’une légère déception du public, mais en connaissance de cause.
La seconde œuvre proposée est le Nisi Dominus d’Henry Desmarets. Si ce dernier est d’abord connu pour avoir été celui qui enleva par amour une de ses élèves, ce qui lui valut de devoir à jamais vivre loin de la cour, il n’en est pas moins un compositeur nettement plus intéressant. Ce motet est une des belles découvertes de la soirée. L’engagement des solistes, surtout celui de Jean-François Novelli, et du chœur en souligne toutes les subtiles nuances du contrepoint. Le phrasé soigné, les timbres qui s’enrichissent avec soin, laissent agir le charme de cette musique. Entre les violons qui dansent et le pathétique qui foudroie, Desmarets est un compositeur qui mérite qu’on le redécouvre en disposant des moyens ici offerts. On retiendra tout particulièrement le « Vanum est vobis ». L’introduction instrumentale du serpent fige dans son appel douloureux, tandis qu’Olivier Schneebeli, soignant les contrastes vocaux, fait appel à un jeune page qui s’oppose à la basse dans des pianissimi extatiques. On retrouve un Alain Druet plus en voix. Le chœur palpite, magnifie la lumière qui émane de la partition avec fulgurance et poésie.
Après l’entracte, Michel Bouvard, titulaire de l’orgue de Saint Sernin (Toulouse) et coresponsable du festival Toulouse les Orgues, donne des pièces de Louis Marchand. Ce dernier est connu pour avoir « évité » une compétition qui devait l’opposer à Johann Sebastian Bach en 1717. Il tint l’orgue de la Chapelle Royale à partir de 1708. Les pièces retenues font entendre une partie de la grande variété des jeux du splendide instrument que nous devons à Robert Clicquot et qui fut inauguré en 1711 par François Couperin. Michel Bouvard met en valeur la légèreté des flûtes et cornets et la puissance d’évocation des grands jeux. La ferveur de son approche et la gamme des nuances et des couleurs font regretter la brièveté de son intervention.
Des compositeurs de ce soir, Michel-Richard de Lalande est le plus connu et certainement le plus accompli. Aussi bien auteur de musique profane que sacrée, il cumula les titres à la Chapelle Royale, à la fin du règne du Roi Soleil. La soirée se termine en beauté avec son De Profundis, grand motet composé en 1689 qui occasionne à l’ensemble des interprètes de développer toute la palette des affects d’une œuvre exceptionnelle, passant de la souffrance et la résignation au triomphe de la vie sur l’éternité. Les solistes s’y montrent bouleversants. Tous possèdent un phrasé naturel d’une élégance rare. Les deux jeunes pages issus de la Maîtrise s’imposent voix pures de la lumière divine qui apaise et libère. La haute-contre Robert Getchell possède un beau timbre et une technique parfaite, Jaël Azzaretti s’avère vibrante d’émotion, Jean-François Novelli d’une sensibilité à fleur de peau et Alain Buet d’une splendeur totalement retrouvée.
Si, dans cette première approche du répertoire français, l’Akademie für Alte Musik Berlin, semble parfois manquer de nuances et de subtilité, il fait preuve de couleurs intéressantes et d’un sens dramatique très marqué.
Pour finir, on ne peut que souligner la remarquable et généreuse direction d’Olivier Schneebelli qui défend chaque œuvre avec panache et bonheur. Attentif aux équilibres et aux nuances, il met en valeur les architectures musicales et soigne les contrastes. De la Maîtrise du CMBV, il a fait une des plus belles au monde ; sa splendeur vocale est unique et parfaitement reconnaissable.
MP