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Chroniques
Mahler | Das Lied von der Erde
Berg | Concerto à la mémoire d’un ange
Jamais sans doute l'idée de réunir le Concerto à la mémoire d'un ange et Le chant de la terre n'a paru aussi « évidente ». On sait pourtant que l'ambition des programmes exige des interprètes qu'ils produisent le meilleur d'eux-mêmes pour y répondre convenablement. Indiscutablement, ce fut le cas pour cet avant-dernier concert du cycle Tout Mahler au Châtelet.
Le violoniste Frank Peter Zimmermann [photo] officie dans un Berg à l'entame sanguine, presque véhémente. Durant toute l'introduction, il n'hésite pas à accentuer avec le talon de l'archet la position malaisée de la main gauche en allant chercher très loin sa note sur la corde de sol. Daniele Gatti est prompt à souligner le déhanchement du trois temps et compose en arrière-plan un paysage sonore d'une belle luminosité. Les émollientes moiteurs de la petite harmonie font un écrin subtil qui jamais ne contraint le soliste à forcer l'expression pour permettre au son de jaillir hors du flot orchestral. Le violon trouve parfaitement ses marques, multipliant poudroiement d'harmoniques et picotements de gammes cristallines. À la réverbération naturelle du son s'ajoutent de subtils pizzicati à la main gauche et des rebonds d'archet, contrôlés d'une rotation de poignet, à la fois expressionniste et poétique. L'idée géniale de reculer à l'intérieur de la rangée des premiers violons crée une confusion de timbres inédite qui dissout l'instrument dans la trame générale. Succès garanti.
Bravant l'intimidant Es ist Genug conclusif, Zimmermann osait en bis l'Andante de la Sonate en la mineur n°2 BWV 1003 de Bach. Même s'il lui fallut attendre la deuxième reprise pour trouver ses marques, on ne put qu'admirer l'équilibre et la justesse d'un violon hélas trop rare sous nos latitudes.
En deuxième partie, Le chant de la terre poursuivait dans la même veine de l'excellence. Ici, comme dans Berg d'ailleurs, Gatti relie par la densité sonore les différentes parties à la façon d'un chemin de croix à la fois profane et mystique. Peu importe si le ténor Stephen Gould projette excessivement une ligne vocale tendue et peu spirituelle. La voix reste à l'étroit dans le haut du masque, tandis que l'orchestre s'ébroue gaiement tout autour. Le meilleur moment intervient dans Der Trunkene im Frühling, moment truculent où l'abrupte virilité fort théâtrale du ténor affronte le violon compassé et pince-sans-rire de l'excellente Sarah Nemtanu. Dès le deuxième mouvement (Der Einsame im Herbst), la voix de Marie-Nicole Lemieux émerge d'un bruissement de trilles vaporeux d'une beauté à se pâmer. Tout en elle traduit le plaisir physique de la prononciation entre babil et confidence. Le talent de l'actrice perce à plusieurs reprises, parfaitement souligné par la plastique sonore de l'orchestre.
Der Abschied a le bon goût d'éviter les débordements d'expression mortifère. On peut oser une anachronique allusion au tactus de la battue, mais ici dans un sens purement littéral. La respiration est libérée de tout pathos, ce qui permet à l'auditeur de se laisser porter par la couleur harmonique très étale et la construction du point de fuite.
DV