Recherche
Chroniques
Lohengrin
opéra de Richard Wagner
La nouvelle saison de la Staatsoper de Hanovre s’ouvre avec Lohengrin, un pari wagnérien de taille. Pour son entrée en fonction, le directeur Bodo Busse confie au metteur en scène français Richard Brunel, qui dirige l’Opéra national de Lyon depuis 2021, la responsabilité de revisiter le mythe, tandis que Stephan Zilias mène la fosse avec une souplesse nerveuse. Dès le lever de rideau, rien n’apparaît rassurant, moins encore traditionnel. Le décor, bloc de béton tournant sur lui-même, ressemble à une forteresse contemporaine plus qu’à un château médiéval. Les uniformes envahissent la scène, le chœur est une armée disciplinée, tandis qu’oiseaux, cages et plumes s’accumulent comme autant de signes. Cette production interroge donc l’origine du héros, envoyé du divin ou simple projection d’une Elsa en quête de salut. Et le doute plane, nourri par les images et la froideur du dispositif.
Face à cette lecture symbolique, la distribution vocale s’impose avec force. Maximilian Schmitt incarne un Lohengrin nuancé, refusant les excès héroïques pour offrir un personnage fragile et lumineux, doté d’un timbre clair et ductile qui épouse la tension dramatique [lire nos chroniques de la Matthäus Passion à Dijon puis à Berlin, de la Symphonie Lobgesang et des Mediterranean Songs]. À ses côtés, Viktorija Kaminskaite déploie une Elsa sincère, touchante par la tendresse du phrasé, mais dont la diction parfois incertaine brouille la netteté de l’expression [lire nos chroniques de Die Feen et de Das Liebesverbot]. C’est Ewa Vesin qui domine la soirée : Ortrud d’airain, elle projette une voix intense, modelée par une palette dramatique impressionnante qui brûle littéralement les planches de son autorité [lire nos chroniques de L’ange de feu, Tosca et Nabucco]. Le baryton Grga Peroš apporte à Telramund l’énergie sombre qu’exige ce rôle, tandis que Peter Schöne sculpte en Héraut une prestation claire et ferme [lire nos chroniques de Der Sturm et Das Floß der Medusa]. Vaillamment préparé par Lorenzo Da Rio, le chœur maison impressionne, en masse dense et précise, par sa puissance collective : mieux que de seulement commenter l’action, il s’en fait le protagoniste.
Sous la baguette de Stephan Zilias, remarqué ici-même l’an dernier [lire notre chronique de Lear], la partition respire car l’orchestre garde une transparence qui soutient les voix et refuse l’emphase pour mieux ménager l’ampleur dynamique. Le flux wagnérien avance avec une dimension toujours dramatique qui garde l’auditeur suspendu, prêt à la surprise d’un éclat comme d’un murmure.
Pourtant, la mise en scène divise. L’audace des symboles frappe, voire fascine (plumes blanches, corbeaux noirs, uniformes dont le nombre croît), au risque d’éclipser la ligne dramatique. Le spectateur hésite : faut-il voir dans Lohengrin un réel sauveur ou un rêve impossible ? Doit-il reconnaître dans l’armée en marche un reflet de nos sociétés occidentales prêtes à se livrer à l’autoritarisme ? À moins qu’il préfère simplement se laisser séduire par la beauté brute des images… Ces interrogations restent ouvertes, et c’est peut-être la véritable force de la proposition. Malgré la froideur d’un décor trop massif ou les fragilités ponctuelles d’une voix, cette première conjugue excellence musicale et engagement scénique. Annulant sa fonction de musée, l’opéra devient miroir troublant de nos attentes et de nos contradictions, situées entre désir de salut et lucidité du doute : insaisissable, le cygne continue de voguer sur les eaux de notre imaginaire.
HK