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Chroniques
King Kong
film de Merian Cooper / Ernest Schoedsack – musique de Raoul Lay
Bourlinguer, disait Cendras. Comme lui, d’autres audacieux gardèrent le souvenir d’aventures et de combats vécus dans les premières années du XXe siècle. C’est le cas des baroudeurs à l’origine de King Kong (1933), le réalisateur Merian Caldwell Cooper (1893-1873) et l’écrivain Edgar Wallace (1875-1932) : le premier se distingue dans l’aviation militaire (escadrille Kosciuszko au sortir de la Première Guerre mondiale, Tigres volants lors de la suivante), tandis que le deuxième est soldat engagé en Afrique du Sud avant d’y couvrir, comme correspondant britannique, la Seconde Guerre des Boers (1899-1902). Mais c’est avec un confrère rencontré à Vienne en 1919, Ernest Beaumont Schoedsack (1893-1979), que Cooper va s’associer pour concrétiser cette fiction, après avoir coréalisé des documentaires – l’un en Iran (1925), l’autre au Siam (1927).
Un tournage prévu sur une île au large de Sumatra, des amoureux fuyant des monstres féroces, un gorille géant qui sème la terreur à New York où on l’exhibe comme la huitième merveille du monde… Ravivée par des variantes signées Guillemin (1976) et Jackson (2005), nul n’ignore aujourd’hui l’histoire scénarisée par Ruth Rose et James Ashmore Creelman – aussi connu pour The most dangerous game (Les chasses du comte Zaroff, 1932), lequel se tourne de nuit dans les décors de King Kong avec deux des vedettes du film, Fay Wray and Robert Armstrong !
Compositeur et directeur artistique de l’Ensemble Télémaque, Raoul Lay découvre le film pendant son enfance, dans un cinéma de quartier. Impressionné par la force stupéfiante du monstre (lequel démolit plus d’un prédateur qui court, rampe ou vole), il se dit aujourd’hui sensible à la fraîcheur de cette version originelle, à son « innocence teintée d’angoisse », proche de la fable. Il ajoute : « ce qui nous parle dans les contes est ce qui agit au plus profond de nous, comme dirait Lacan ce par quoi nous sommes agis de l'intérieur. Pour moi la musique a toujours servi à exprimer ce qu'il y avait au plus profond de nous ».
Sachant que le film est parlant, nous attendions des îlots de musique çà et là, lors des traques et rituels païens. Mais – horreur ! –, alors que Philip Glass avait totalement évacué la bande-son de La Belle et la Bête (1946) pour une expérience étonnante [lire notre chronique du 18 janvier 2014], Lay cède au sacrilège suprême : régulièrement, sans tenir compte des dialogues en cours, il coupe le son d’origine au profit de notes portées par un petit ensemble instrumental et un chœur mixte amateur réunissant des formations régionales (Maurepas, Élancourt, Saint-Quentin-en-Yvelines). Il revient au soprano Brigitte Peyré d’exacerber les scènes de cruauté, aquatique ou urbaine.
D’avoir imposé aux plus jeunes (notamment) des séquences mutilées, qui brouillent l’identité de l’intervenant – malgré le sous-titrage – et tuent la musicalité de la voix humaine, vaudrait au compositeur un enfer digne de Skull Island. Comment lui pardonner de nous priver des hurlements glaçants de Miss Wray, ancêtre des reines du cri, lors de l’apparition de Kong ? Peut-être en évoquant la meilleure idée du spectacle : illustrer le corps à corps des figurines animées de Willis O'Brien par des bruitages aux platines (Philippe Petit) qui en soulignent la sauvagerie autant que l’artifice.
LB