Chroniques

par jorge pacheco

journées de la composition
Juan Arroyo, Hao-Yuan Chiu, Benjamin Attahir et Pedro García Velázquez

Conservatoire National Supérieur de Musique / Paris
- 7 octobre 2011

Les Journées de la composition, organisées tous les deux ans par le CNSM de Paris, représentent une opportunité précieuse de s'introduire dans l'épicentre même de l'activité musicale actuelle et d'être le témoin de la créativité des étudiants compositeurs de cette grande maison. De septembre à novembre, dans la série de concerts qui constitue l’événement, une grande quantité d'œuvres aux esthétiques richement hétérogènes permettent, dans une certaine mesure, d'apporter des éléments de réponse face à l'éternelle question du devenir de la musique contemporaine.

Le concert de ce vendredi réunit le travail de quatre jeunes musiciens dont les origines diverses rendent compte du caractère cosmopolite de ce pôle musical européen qu'est le CNSM. Du Colombien Pedro García Velázquez (né en 1984), mmm ouvre le concert. Volontairement neutre, ce titre cherche à ne pas imposer une grille de compréhension définie à l'auditeur, lui permettant ainsi d'écouter librement. Il met donc en question l'habitude d'évoquer une infinité de sources d'inspiration, allant du réel au surnaturel en passant par la faune et la flore, pour justifier le simple fait de mettre en relation deux sons. Dans cette pièce, les situations sonores prennent une dimension poétique liée au son lui-même, dans un traitement qui privilégie les textures homogènes et le devenir non directionnel, évoquant par moments, à travers le surgissement fantomatique de lignes mélodiques simples, la musique de tradition orale.

Vient ensuite l'œuvre du Toulousain Benjamin Attahir : Jaillir. Revendiquant, par une citation en exergue de l'intellectuel espagnol Gregorio Marañon, sa volonté de trouver dans le passé la source du futur, Attahir crée une pièce où la construction musicale est intimement liée au système tonal : la forme rondo. Tout comme ceux du XVIe siècle, ce rondo d’aujourd’hui se construit sur le retour d'une configuration mélodico-rythmique reconnaissable qui l’ouvre et le conclut. Le principe de structuration étant décrété par avance, l'auditeur perd vite le fil et se focalise sur le devenir du matériau thématique, lui aussi fondé sur le principe du développement mélodico-rythmique ainsi que sur une virtuosité d'écriture et d’exécution assez ostentatoire. Il en résulte une pièce certes ingénieuse, à l'esprit volontairement léger (la deuxième partie s'intitule Poco funk), agréable à l'oreille malgré la couleur de tonalité détournée un peu aigrie, mais sans doute située plus dans le passé que dans le futur.

Alaya du Taïwanais Hao-Yuan Chiu (1981) est une fort belle œuvre pour treize instruments et voix de basse qui s'inspire du concept bouddhiste de méditation. L'entrée de la voix seule dans son registre le plus grave suffit à établir d'emblée le caractère mystérieux et attrayant qui imprègne toute la partition. L'interruption de cette note tenue dans le grave par des interventions fugaces de l'extrême aigu (en voix de fausset) semble figurer la perte de la dimension physique qui permet à l'esprit de se détacher du corps. Ainsi, à travers des traits d'une délicate simplicité, la voix, aidée par l'ensemble instrumental, emporte dans les différents états de conscience qui précèdent le calme profond, avant de s'éteindre doucement.

Du Péruvien Juan Arroyo (1981), Suyus ferme le concert.
S'inspirant de la division que faisaient les Incas de leur empire en quatre états (suyus) à constituer pour eux l'ensemble de l'univers, Juan Arroyo construit une pièce de grande envergure qui met en action quatre ensembles instrumentaux indépendants, chacun centré sur les percussions. Ces quatre entités entrent en dialogue, s'opposent et se synchronisent, créant une quadriphonie encore enrichie par le traitement électronique en temps réel. À travers cette dialectique de contraste se profilent lentement des éléments sonores à l'identité particulière, construisant ainsi une dramaturgie qui fonctionne, à l'image de la quadriphonie, par superposition, juxtaposition et opposition. Plus que purement formelle, la référence à l'Empire Inca est présente dans le matériau rythmique de la partition et dans les modes de production du son. Ainsi le souffle, composant fondamental du timbre des instruments incas et méprisé par l'oreille occidentale, omniprésent dans la partition, fait-il l'objet d'un traitement en différents plans qui s'éloignent ou se rapprochent. Pour ce faire, les instrumentistes de l'Orchestre du Conservatoire doivent imiter les modes de jeu des instruments précolombiens, enrichissant encore la palette sonore de l'œuvre.

Ces quatre pages révèlent l'originalité et la richesse de jeunes compositeurs qui se distinguent par une volonté d'affirmer une individualité expressive sans oublier leur identité culturelle. Une occasion, donc, de découvrir comment se construit la musique d'aujourd'hui et celle de demain. Prochains rendez-vous avec des mondes sonores tout aussi intéressants au CNSM : le mercredi 19 et le vendredi 21 octobre.

JP