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Chroniques
Internationales Mahler Festival Leipzig
concert 4 | Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Yannick Nézet-Séguin
Quatrième formation germanique à se produire au cours de ce festival [lire notre introduction générale], l’Orchestre de la Radio Bavaroise, fondé par Eugen Jochum en 1949, fut le premier ensemble allemand à programmer un cycle Mahler, sous la baguette de Rafael Kubelik – l’enregistrement parut dans la foulée chez Deutsche Gramophone. Et ce ne sont pas les directeurs musicaux successeurs – Lorin Maazel et Mariss Jansons, l’occupant actuel du poste – qui auront démenti la réputation malhérophile des Bayerischen Rundfunks. La précision du jeu, valorisée par une caractérisation des pupitres, constituent des atouts dans l’exécution d’un ouvrage qui fait sonner le grand orchestre comme une superposition d’ensembles que l’on n’ose qualifier de chambre – s’il est un défaut dont on ne saurait taxer la musique de Mahler, c’est bien celui d’être une masse sonore lourde et bruyante. Ce soir, ils se sont montrés à la hauteur de leur renommée dans la Symphonie en si mineur n°7.
Achevée en 1905 à Maiernigg, la retraite estivale, on la relie généralement aux Cinquième et Sixième, avec lesquelles elle forme le mittleren Mahler-Stil (le style mahlérien du milieu) associé au cycle des Kindertotenlieder, entre la première manière des symphonies liées au cycle des Knaben Wunderhorn Lieder et la dernière incarnée de manière exemplaire par le Chant de la Terre et la Neuvième, tandis que d’un point de vue bio-dramatique, elle se présente comme une étape entre la sombre Symphonie n°6 – la seule à s’achever dans la défaite, en modalité mineure – et l’affirmative Symphonie n°8. Cependant on peut entendre une parenté avec la Dixième Symphonie, jouée la veille, avec laquelle elle partage une grande modernité d’écriture. Ce sont sans doute les deux ouvrages où le génie original de Mahler se fait le plus avant-gardiste, y annonçant parfois la Seconde Ecole de Vienne.
L’un des exemples les plus saillants dans la Septième vient de l’importance du rôle dévolu aux instruments de bas registre dans la conduite de la ligne mélodique, laquelle procède souvent par collages (procédé très sensible dans la première Nachtmusik) – l’œuvre n’a pas été surnommée sans raison Chant de la nuit. De manière très révélateur du geste mahlérien, explorant les limites de la beauté, la Symphonie n°7 pousse l’hétérogénéité du matériau musical aussi loin que la cohérence d’une œuvre peut l’autoriser.
Le jeune encore et déjà talentueux chef canadien Yannick Nézet-Séguin en délivre une lecture d’une fraîcheur estimable. Dans le mouvement initial, Langsam (Adagio), Allegro, la direction équilibre la succession des appels initiés par le cor en si, la réplique franche, presque agressive, et la contre-réponse plus souple, tout en favorisant la clarté de la texture sonore. Ce souci de transparence porte ses fruits dans le premier mouvement lent, (Nachmusik I, Allegro moderato, Andante), mettant en valeur les associations inédites de timbres et l’errance mélodique au sein des tessitures graves de l’orchestre. L’allure chambriste du mouvement se révèle évidente, sans déséquilibrer la cohésion de l’ensemble. Le Scherzo, construit sur une figure de motif perpétuel, évoque celui de la Deuxième Symphonie dont une partie du matériel thématique reprend celui du Lied du Prêche de Saint-Antoine aux Poissons, extrait du cycle des Knaben Wunderhorn [lire notre chronique]. À l’intention ironique et aux accents satirique du troisième mouvement de la Symphonie en ut mineur fait écho ici l’étrangeté fantasmatique des couleurs comme de la mélodie fuyante et insaisissable. L’énergie du Canadien se déploie à son aise, coordonnant les entrées des pupitres de manière remarquable.
Le second Nachtmusikstück, Andante amoroso, a des allures extatiques, rehaussées par les discrètes, mais néanmoins immédiatement reconnaissables, interventions de la guitare et de la mandoline. Bien qu’elles sont censées rester au second plan, on regretterait presque que ne se détache pas davantage leur babil, idiomatiques de la sérénade, qui participe à la tendresse et à la couleur du mouvement. On gagnerait en caractérisation de l’atmosphère, tout en contenant l’excès de vivacité à laquelle invite parfois certaines accélérations de tempo et auquel cède Yannick Nézet-Séguin.
Le Rondo-Finale est l’une des pages les plus brillantes jamais écrites par Mahler, et sans doute l’une de celles qui présentent la plus grande difficulté d’exécution. L’extrême variété de tempi et de caractères défie constamment l’homogénéité du mouvement. Le chef évite l’écueil du morcellement de la partition en blocs plus ou moins étanches et lui insuffle une fougue irrésistible, enchaînant sans répit les thèmes et leurs reprises. Ce sentiment de continuité, soutenu par un enthousiasme communicatif, recueille les suffrages d’un public nombreux à se lever pour applaudir chaleureusement la nouvelle génération. L’option herméneutique retenue ne nous a cependant pas convaincus. L’élan apporté au finale ne va pas sans une relative précipitation qui, prenant l’ensemble des motifs en égale considération, en aplanit la succession. Du coup, l’illusion perpétuelle de l’organisation du mouvement, où, chaque fois que l’on croit avoir gagné l’expression définitive du thème, on est démenti par ce qui suit, se fait moins sensible. Dans ce Rondo, Mahler pousse les possibilités formelles du genre jusqu’en ses limites en soumettant tous les paramètres musicaux au principe de la variation (les hauteurs et les rythmes bien sûr, mais aussi les timbres), anticipant la technique sérielle et offrant au passage un épitomé de parodies, du prélude desMeistersinger à la musique turque mozartienne, en passant par le thème du premier mouvement, détournant les attendus de la forme sonate (ce procédé d’autocitation parodique est un autre trait que la Septième partage avec la Dixième). Yannick Nézet-Séguin passe à côté de l’ironie unique de cette page, y imprimant une exubérance qui siérait mieux au Rondo joyeux de la Cinquième Symphonie.
GC