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Chroniques
intégrale de la musique de chambre de Korngold
deux premiers rendez-vous
Nous l’annoncions en préambule à notre chronique de l’opéra Die tote Stadt [lire notre article du 9 octobre] : l’Opéra national de Paris en accompagne les représentations par une exposition – une épopée de Vienne à Hollywood, jusqu’au 5 novembre – et un cycle de quatre concerts où sera jouée dans son intégralité la musique de chambre d’Erich Wolfgang Korngold. La qualité de ces premiers rendez-vous nous invite à vivement vous recommander les suivants (8 octobre, 26 octobre et 5 novembre).
Vous souvenez-vous du Quatuor Aron ? C’était à l’automne 2006, à Toulouse, il donnait Schönberg, Toch, Ullmann et, déjà, le Quatuor Op.34 n°3 de Korngold [lire notre chronique]. En fidèle avisé, Nicolas Joël confie le projet aux mêmes interprètes qui viennent de graver ces œuvres (label CPO). L’on ne s’en plaindra pas, tant remarquable est la prestation.
La soirée de mardi est ouverte par le Quatuor à cordes en la majeur Op.16 n°1, page achevée en 1923, mais initiée au début de l’année 1920, alors que Korngold met un point final à Die Tote Stadt durant l’été. Introduit par un Allegro molto qui plonge immédiatement l’écoute dans l’imparable génie mélodique du Viennois, qui laisse bientôt surgir une recherche formelle conclue par des résolutions volontiers interrogatives dans sa logique harmonique particulière, l’œuvre s’engage dans un Adagio plus libre, aux entrelacs crépusculaires, pourrait-on dire. Tonicité et tendresse sont de mise, dans une interprétation exemplaire régie par une respiration commune et une grande qualité d’écoute mutuelle des quartettistes. On saluera la perfection des conclusions en harmoniques des phrases, contrastant finement avec la sonorité généreusement vibrée accordée au discours. Conscient du caractère discrètement inquiet de l’œuvre, le Quatuor Aron livre un Intermezzo subtilement réservé. Redoutable (avec ses doubles-cordes), l’ultime Allegretto ose une raucité nouvelle, toutefois contredite par le goût de l’auteur pour les finals ronflonflons.
Travaillant à son prochain opéra, Das Wunder des Heliane [lire notre critique du CD], Korngold écrit un Concerto pour la main gauche à la demande de Paul Wittgenstein (auquel la guerre avait volé la droite) et le Quintette pour piano et cordes en mi majeur Op.15. C’est ici Henri Sigfridsson qui appelle l’entrée du quatuor par trois opulents accords de piano. Plus straussienne que Strauss, l’œuvre rompt son élan lyrique dans un tenebroso inattendu au clavier, d’où ressurgira le premier caractère mais parfumé d’une indéniable mélancolie. Si l’exécution des Aron affirme une nouvelle fois son raffinement, on regrettera un pianiste à la frappe assez lourde. L’inflexion de l’Adagio se fait ensuite plus recueillie, chantant bientôt un développement presqu'opératique au-delà duquel sourd une texture finement ouvragée de l’écriture. On goûte l’excellence de Ludwig Müller dans les splendides traits de violon du troisième mouvement.
Moins cohérentes seraient ces Convergences en ne confrontant pas notre écoute à des œuvres strictement contemporaines de celles de Korngold. Ainsi entendons-nous le Quatuor à cordes Op.8 de Kurt Weill (1923) où pointent les indices de ce que sera sa musique quelques quatre ou cinq ans plus tard. L’inflexion mélodique en est déjà présente, bien sûr, jusqu’en ses suspensions si caractéristiques, mais aussi les alternances précipitées de scansions et de fugatos, de valses et de menuets, de récitatifs, lamentos, chorals et marches, dans un lyrisme plus baroque que jamais, peut-être hérité de Busoni, tellement tourné vers le grand passé vocal. On rencontre dans l’Opus 8 des audaces harmoniques plus intéressantes que la franchise avec laquelle la musique postérieure de Weill simplifiera ses moyens d’expression.
Le second concert propulse dans les années de tourmente, avec des œuvres composées entre l’avènement d’Hitler à la Chancellerie allemande (janvier 1933) et l’Anschluss (mars 1938). Hanns Eisler a quitté le navire (berlinois) à temps. C’est donc à New York qu’il écrit le Quatuor à cordes Op.75 joué à l’Amphithéâtre jeudi soir, une page au ton grave et indigné. Korngold fait connaissance avec le milieu américain du cinéma dès 1934. Après une collaboration avec Max Reinhardt – A Midsummer Night's Dream pour lequel il adapte Mendelssohn –, Captain Blood, la première de ses partitions pour Hollywood, en 1935, il fournit bientôt plusieurs musiques au septième art, alors qu’à Vienne est sans cesse ajournée la création de son nouvel opéra, Die Kathrin. C’est quelques mois avant l’annexion de l’Autriche qu’il débarque définitivement sur la côte Pacifique.
Juste avant ce nouveau départ offert par les studios de Beverly Hills, Korngold livre à Vienne son Quatuor à cordes en mi bémol majeur Op.26 n°2 (1934). Tout de chatoiement, de relief et de couleur s’affirme l’Allegro à l’ouvrir. Elégance tendre et vigueur beethovenienne s’y disputent cordialement la vedette. L’Intermezzo rappelle à lui seul que les musiques pour Hollywood ne naîtront pas nulle part… Suit un Larghetto flûtant subtilement les harmoniques avant un lamentoso copieusement chanté. L’œuvre est conclue par une Valse dont la saveur oscille entre le vertige d’un grand bal de janvier en ville et la liesse printanière d’un heuriger à Grinzing.
Conçue en 1929, pendant la crise qui donnera tout son pouvoir au mouvement national-socialiste, la Suite pour piano et cordes Op.23 fait figure de frontière entre les belles et les mauvaises années. Comme le Concerto Op.17 évoqué plus haut, elle fut composée pour Wittgenstein qui la créa en janvier 1930, à Vienne. D’une facture verbeuse, cette œuvre n’est certainement pas du meilleur Korngold, il faut l’avouer. Elle accuse des soucis d’équilibre entre la partie de piano et le trio, une invention assez pauvre qu’une surcharge d’effets, seyante comme une indigestion au Kaisermelange, ne saurait pallier.
Prochaine soirée Convergences : le 26 octobre, où seront joués le Trio à cordes Op.1, la Sonate pour piano Op.25 n°3 etla Sonate pour violon et piano Op.6. À suivre…
BB