Chroniques

par irma foletti

Georg Friedrich Händel | Acis and Galatea HWV 49
Leonardo García-Alarcón et sa Cappella Mediterranea

Festival d’Ambronay, Abbatiale
- 20 septembre 2025
Leonardo García-Alarcón et sa Cappella Mediterranea jouent Händel à Ambronay
© bertrand pichène

Créée et dirigée par le chef d’orchestre, claveciniste et compositeur Leonardo García-Alarcón, la Cappella Mediterranea fête en 2025 son vingtième anniversaire. Particulièrement fidèle au Festival d’Ambronay au cours de ces deux décennies, Leonardo García-Alarcón s’adresse au public avant le concert en indiquant qu’il est heureux de retrouver « l’acoustique absolument idéale » de l’abbatiale dans laquelle il a de nombreux souvenirs de toutes sortes et où il a fait « les plus belles rencontres de sa vie » – c’est d’ailleurs à la Tour Dauphine que nous le découvrions au clavecin, il y a un petit moment déjà [lire notre chronique du 12 octobre 2003]. Certaines paroles rappellent aussi un souvenir particulièrement douloureux : « La pièce de ce soir nous montre à quel point la vie et la mort sont unies et de quelle manière les anciens ont voulu nous démontrer que la mort est un autre état… », ou encore « Quoi de plus beau que de partir de ce monde entouré de musique, et c’est cela qu’on a appris aussi dans ce lieu ». En effet, nous étions présents ici-même lorsque, le 22 septembre 2023, le baryton Alejandro Meerapfel s’effondrait en scène, pris d’un malaise cardiaque qui s’avèrerait fatal [lire notre chronique] : sans nommer son compatriote argentin disparu, le chef ravive ce souvenir commun aux artistes et au public.

Dirigée par Alarcón depuis l’orgue, la Sinfonia part à vive allure, pleine d’énergie et variant les nuances jusqu’au piano subito bien marqué. Les parties chorales sont assurées par les solistes, renforcés par trois chanteurs supplémentaires dont on parvient sans difficulté à entendre les individualités au sein de cet ensemble en petit nombre : le soprano Maud Bessard-Morandas, le contre-ténor Leandro Marziotte [lire notre chronique de Rodrigo] et la basse Raphaël Hardmeyer [lire notre chronique d’Ariadne auf Naxos]. La première intervention du soprano Charlotte Bowden en Galatea charme nos oreilles au cours de l’air Hush, ye pretty warbling quire! La voix est homogène sur l’étendue et sa pulpe séduisante lorsqu’elle échange avec la petite flûte à bec imitant le gazouillis d’un oiseau. Plus tard, le volume se réduit par moments, s’effaçant légèrement, parfois, derrière la musique ou les autres chanteurs, les beaux aigus à pleine ampleur continuant toutefois à dominer l’ensemble. En Acis, le ténor Hugo Hymas produit un jeu très extériorisé dans son air d’entrée, Where shall I seek the charming fair?, quand il s’agite de part et d’autre du plateau. Le chant est projeté avec conviction, surtout le médium, alors qu’on entend de fugaces fragilités sur certaines notes aiguës [lire notre chronique du 23 juin 2024]. Plus tard, son engagement continue de convaincre, comme lorsqu’il conduit avec abattage son air du deuxième acte, Love sounds th’alarm, où l’on entend des échos de l’air d’Argante, Sibillar gli angui d'Aletto, du Rinaldo händélien.

Après l’entracte, placé à l’issue du chœur d’ouverture de l’Acte II, le Polyphemus de Staffan Liljas – rôle que l’artiste suédois tenait déjà lorsque Leonardo García-Alarcón donna l’œuvre à la tête du Philharmonique de Radio-France, il y a trois ans [lire notre chronique du 21 mai 2022] – entre directement dans l’expression de sa jalousie envers Acis et de sa rage de ne pas être aimé de Galatea. La basse projette puissamment I rage, I melt, I burn depuis les premiers rangs de l’auditoire, conférant un beau relief dramatique à ses récitatifs. Deux autres ténors sont de la partie, d’abord Valerio Contaldo en Damon, doté d’une voix de format lyrique qui s’exprime parfois depuis l’arrière de l’orchestre [lire nos chroniques de La Didone, Il palazzo incantato, Dafne in lauro, Combattimento, Orfeo, Stabat Mater et Johannes-Passion]. D’un timbre plus clair, Nicholas Scott développe encore plus d’élégance en Coridon, comme au cours de l’air élégiaque Would you gain the tender creature, aux belles nuances [lire nos chroniques du 10 septembre 2021 et du 31 mars 2023]. Précisons que plusieurs solistes chantent par courtes séquences depuis différentes positions de l’abbatiale, comme Love in her eyes sits playing par Acis qui parcourt la nef dans toute sa longueur. Cette déambulation en confirme d’ailleurs l’uniformité de l’acoustique, mis à part le son direct émis lorsqu’il est au plus proche de l’auditeur.

L’application des musiciens de la Cappella Mediterranea et l’énergie transmise par García-Alarcón se maintiennent tout au long de l’exécution, l’émotion culminant à la mort d’Acis, après que Polyphemus a lancé un rocher invisible depuis l’arrière du transept. La gestion des silences par le chef impressionne alors, quand les dernières notes s’éteignent comme dans un souffle, avant que le hautbois mélancolique intervienne pour la conclusion confiée à Galatea puis au chœur. Dans une ambiance de fête, les artistes accordent en bis la passacaille extraite de King Arthur (Purcell), puis c’est un Joyeux anniversaire qui est entonné, avant la reprise du duetto conclusif du premier acte – Happy We!.

IF