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Chroniques
Gaspar Fernándes | Cancionero musical de la Cathédrale d’Oaxaca
ensemble Ars Longa
Des quelques concerts que nous avons suivis dans le cadre du Festival d’Art Sacré de la Ville de Paris, c’est celui de ce soir qui enthousiasme le plus. L’ensemble Ars Longa a été créé en 1994, et rattaché un an plus tard à l’Oficina del Historiador dela Ciudad de La Habana. Il réunit quelques étudiants du Conservatoire de La Havane autour d’un projet : interpréter la musique des Amériques coloniales, ô combien métissée, dans un esprit festif regroupant danse et mise en scène. Ars Longa s’est peu à peu fait l’ambassadeur de la musique ancienne cubaine partout dans le monde, travaillant aux côtés de musicologues et d’érudits qui permirent d’approfondir les recherches dans ce domaine. De surprises en découvertes, il se produisait la semaine dernière avec Elyma et Gabriel Garrido dans une Fiesta Criolla mémorable, et donne aujourd’hui le Cancionero musical de la Cathédrale d’Oaxaca de Gaspar Fernándes.
Du compositeur, l’on ne sait pas grand’chose.
Il est né au Portugal vers 1565-70, chanta à la Cathédrale d’Evora dans les années quatre-vingt-dix et fut engagé à l’aube du XVIIe siècle comme organiste dans les missions d’évangélisation en partance pour le Nouveau Monde. Il écrivit alors des Villancicos destinés autant à permettre aux colons espagnols de pratiquer leur confession qu’à subjuguer les peuples païens vers la Foi, qu’il s’agisse des esclaves africains ou des populations locales. Il fut maître de chapelle à la Cathédrale d’Antigua, au Guatemala, durant sept ans, puis à celle de Puebla, au Mexique, à partir de 1606 pour les vingt-trois années qui lui restaient à vivre. Comme de nombreux musiciens partis « aux Indes », à l’esthétique baroque venue d’Europe il a mêlé les forces rencontrées sur place, créant ainsi des œuvres propres à édifier le christianisme tout en s’attirant des énergies nécessaires qu’à l’emporte-pièce on pourrait dire magiques. Utilisant un instrumentarium étonnant – où les violes côtoient sans plus de cérémonie tambours Bata, maracas, tambourins ou gaitas– et une alternance de langues dans les textes choisis pour ses liturgies (latin, espagnol, portugais, dialectes originaires de Guinée, nahuatl et quelques autres idiomes de la région de Puebla), il laissa une œuvre neuve et inventive dont la pluralité culturelle rejoint celle de certaines messes rhénanes du VIe siècle – chantées à la fois en latin, en hébreux, en grec, en langue vulgaire, et accordant des passages de participation au peuple de fidèles plutôt que de limiter la célébration aux moines, avant que Pépin et Charlemagne n’imposent violemment le seul rite romain. L’héritier direct de ce travail sera Juan Gutiérrez de Padilla, né à Malaga en 1590, maître de chapelle à la Cathédrale de Jerez en 1613, à celle de Cadix en 1617, arrivé à Puebla en 1622. Chanteur à la Cathédrale, il aida beaucoup Fernándes dans les dernières années où il entendait, malgré la fatigue de l’âge, poursuivre ses activités jusqu’au bout, et lui succéda de 1629 à 1690. Le Cancionero fut apporté à la Cathédrale d’Oaxaca par le chanteur Gabriel Ruiz de Morga en 1653. Près de trois cents villancicos et chanzoneta manuscrites le composent, dont le plus grand nombre est signé de la main de Garpar Fernándes.
Teresa Paz, soprano au timbre gracieux qui dirige d’une douce autorité Ars Longa, ouvre la soirée avec une énergie extraordinaire. Les Toquen as sonjas et ¡Oh, quién hiciese cosquillas forment une entrée en matière d’une grande fraîcheur, enjouée et pétillante comme jamais. No haya mas dulca alegria présente une mélopée orientalisante sur une lugubre pédale de cordes, chargée d’une émotion fascinante servie par un travail de solo extrêmement soigné. Avec Andrés do queda el ganado, la tentative de recréer un code gestuel s’avère convaincante. Excellent s’y montre le baryton Elier Muñoz, comme tout au long du spectacle.
Car il s’agit bien d’un spectacle !
De même que les clercs carolaient les rondos de la messe avant les excès d’étroitesse d’esprit d’un certain pape, les artistes d’Ars Longa jouent, dansent, rient et emmènent le public vers le sacré plutôt que de le limiter au religieux. La sonorité instrumentale est richement travaillée, dans une couleur nettement Renaissance, avec un quatuor de violes parfaitement équilibré. Seule petite réserve : l’acoustique de Saint Roch aurait demandé qu’on plaçât le clavecin devant les violes plutôt qu’à arrière. Hielo, sé mi fiel testigo bénéficie d’une exécution de premier ordre. L’on apprécie particulièrement le timbre généreusement coloré, parfois tragique, du mezzo-soprano Odalys Santiestebandans Salté de los cielos. Avec un passage de tambour yoruba qui pourrait avantageusement se développer plus, de beaux échanges entre les chanteurs, un peps extraordinaire, l’on irait bien à la messe tous les jours.
BB