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Der Zwerg | Le nain, opéra d’Alexander von Zemlinsky
L’enfant et les sortilèges, opéra de Maurice Ravel
De l'Infante à l'Enfant… voilà réunies deux œuvres que tout sépare, à première vue, dans un diptyque imaginaire autour de l'enfance, du caprice et du dramatique passage à l'âge adulte. Si la question du rapprochement n'est pas mauvaise en soi, il est bon de s'interroger sur le sens esthétique et théorique qui s'en dégage. La mise en scène de Richard Jones et Antony McDonald ne permet pas forcément d'y voir plus clair si ce n'est qu'on ne peut que se féliciter de voir L'enfant et les sortilèges débarrassé de sa disparate Heure espagnole. Si la tentative du couplage Ravel-Zemlinsky n'est pas nouvelle, on ne retrouve pas ici les tentatives de Grzegorz Jarzyna qui, dans la production munichoise vue à Lyon la saison dernière [lire notre chronique du 19 mai 2012], tentait d'imposer des correspondances pas toujours abouties. Dans ces conditions, difficile de s'appuyer sur deux univers scéniques très différents qui accentuent sur la scène de Garnier l'opposition de style entre deux œuvres quasi-contemporaines. Tant pis, donc, pour ce maladroit redoublement de L'enfant ET les sortilèges ET Le nain qui trône sur le rideau de scène au dessus de Zemlinsky-Alma Mahler-Oscar Wilde et Ravel- Marie Delouart (sa mère)-Colette.
Der Zwerg libère à l'envi un flux post-wagnérien et Jugendstil que contredit violemment un décor qu'on croirait tout droit sorti de La petite renarde rusée version André Engel [lire notre chronique du 25 juin 2010]. La faute à cette méchante forêt d'asperges lubriques au-dessus de laquelle tourne un inutile ventilateur déglingué en forme de fleur. Sur le même mode, la faune sexuelle de la cour d'Espagne est peuplée de filles-fleurs qui entourent une infante d'une beauté adolescente, perverse et insupportable. La progression de l'intrigue est soulignée par une variation progressive de l'éclairage qui passe des teintes chaudes et orangées à une palette plus dure excluant de fait le sourire des premières scènes.
Même si le drame de Zemlinsky ne renoue pas avec la noirceur délétère de la nouvelle d'Oscar Wilde, son opéra est d'une beauté magistrale, diamétralement opposée à la concentration du minutage. L'impossible représentation du personnage central est ici détournée par l'utilisation distanciée d'une marionnette que manipule le chanteur. Pourtant, à aucun moment l'attention se porte sur ce « nain » si peu conforme à la difformité repoussante décrite dans le livret. Charles Workman semble embarrassé par cet encombrant prolongement qui traîne devant lui. Ce soir de première lui est malheureusement fatal en ce qui concerne sa capacité à élever le personnage à la dimension impossible d'un Siegfried découvrant la psychanalyse et le stade du miroir. Quasiment en scène d'un bout à l'autre de l'ouvrage, la sollicitation écrasante dans le registre tendu fait céder le tissu vocal en de nombreuses occasions. Face à lui, par le timbre la Donna Clara de Nicola Beller Carbone n'en paraît que plus dominatrice et insolente de venin et de perversité rentrés. Cette Salomé de salon est tempérée par la présence « maternante » de Béatrice Uria-Monzon qui n'a pas à déployer toute l'ampleur de ses moyens pour composer efficacement le personnage de Ghita.
Avec L’enfant et les sortilèges, on quitte la fièvre harmonique viennoise pour une écriture au cordeau et une palette sonore opaline, pleine de faux-semblants. L'enchaînement des scènes y est systématisé par une mise en scène morcelée, plus attachée à réussir des « épisodes » qu’à soigner le lissage de l'ensemble dans une vision homogène. Le plus surprenant est le choix d’une couleur globale relativement terne et sombre comme toile de fond à une succession d'atmosphères fort bigarrées.
On retrouve avec bonheur un plateau vocal largement issu des rangs de l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris. L'Enfant de Gaëlle Méchaly est encore un peu à l'étroit dans son costume amidonné, mais la voix possède des qualités très diseuses et subtiles. La scène de la Princesse à la recherche de sa moitié (flottante) de corps doit sa réussite à la finesse et la précision de la voix d'Amel Brahim-Djelloul. La déchirure de la toile de Jouy et le chœur des pastoureaux dépassent en imagination visuelle et en épaisseur spirituelle ce que la leçon d'arithmétique peine à imposer, malgré l'excellent petit vieillard de François Piolino.
Paul Daniel réussit à animer depuis la fosse un discours musical qui sollicite à l'extrême les instrumentistes de l'orchestre maison. L'endurance des pupitres est judicieusement ménagée dans un Zemlinsky qui refuse de libérer toute la puissance qu'on pourrait y trouver en studio. La seconde partie est elle aussi fort équilibrée et d'un soutien très sûr pour le plateau.
DV