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Chroniques
Der Kaiser von Atlantis | L’empereur d’Atlantis
opéra de Viktor Ullmann
À n’en point douter, cet opéra en un acte possède des critères géniteurs sans doute uniques dans l’histoire du théâtre lyrique mondial : il fut écrit et même répété courant 1943, dans un des camps de concentration de l’Allemagne nazie, par un compositeur d’origine juive enfermé là et qui allait mourir gazé, quelques mois plus tard, à celui d’Auschwitz, sans avoir vu la création de son œuvre, donnée trente-trois ans plus tard.
On comprendra aisément la densité que peut posséder la représentation d’une telle œuvre, pour le spectateur comme pour les interprètes, le sentiment qui règne dans la salle et dans l’esprit de chacun pour la première valentinoise de cette œuvre peut connue et encore moins jouée [lire nos chroniques du 10 janvier 2006 et du 30 avril 2006]. D’autant plus que les diverses composantes du spectacle, tant musicales que dramatiques, offrent cohésion, complicité et complémentarité parfaitement bien dosées, soudées, créant une émotion rare, présente pendant toute la durée du spectacle.
Le mérite en revient d’abord au metteur en scène Richard Brunel qui fait parfaitement fonctionner et fusionner les diverses composantes d’une intrigue mettant quasiment en scène, sur le famélique petit théâtre du camp de Terezín et joué par des déportés devant un public de déportés, une sorte de remake des folies génocides et incantations délirante que « jouait » le Führer à Berlin, devant sa servile cour nazie, soigneusement retranché dans son monde d’artifices, loin de son peuple soumis. Dans ce monde d’une macabre théâtralité, tout sonne faux, tout est faux, discours et déclarations, commentaires et flatteries. Tout est aux ordres, à commencer par la télévision qui diffuse à longueur d’écran les communiqués officiels. Le vocal jongle avec le visuel. Les sbires du pouvoir sont partout. Dans les décors de pénombre imaginés par Marc Lainé, sur lesquels se découpent les clairs costumes conçus par Claire Risterucci et sous les éclairages glaçants de Christian Pinaud, le travail de Brunel développe une terrible efficacité, dans l’art de dépeindre cette furia politique et cet éternel combat entre la vie et la mort.
L’autre atout du spectacle, dont la partition possède une force, une vitalité, une richesse constructive rares, réside dans la qualité de la composante musicale, à commencer par la direction du tout jeune chef Jean-Michaël Lavoie. Faite d’un adroit mélange de précision constructive et de visible empathie avec la pâte orchestrale qu’Ullmann a façonnée, elle bénéficie, de surcroît, de la vitalité, de l’homogénéité et de la musicalité des instrumentistes de l’Opéra national de Lyon, en petite formation et habilement mêlés au spectacle. De même le maestro dirige-t-il, avec un mélange adroitement dosé de vigueur et d’attention, l’équipe de jeunes chanteurs, dont certains appartiennent au Studio de la maison lyonnaise. Le Kaiser du baryton Christian Miedl et l’Arlequin du ténor Rui Dos Santos manquent peut-être un peu de relief, mais La mort de Stephen Owen (baryton-basse), le vivant Tambour du mezzo Lucy Schaufer et le singulier Haut-parleur de la basse Jean-Baptiste Mouret, possèdent bien des atouts que les représentations futures vont sans doute permettre de mieux synthétiser. Car ce spectacle, production de l’institution qui lui prête son orchestre, montée en collaboration avec la Comédie de Valence et le Théâtre de la Croix-Rousse, sera présenté en février prochain sur la scène de ce dernier.
GC