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Concerto en la mineur Op.53 d’Antonín Dvořák
Arabella Steinbacher et l’Orchestre Français des Jeunes
Écouter et voir des jeunes gens défendre, avec l’énergie débordante qui les définie, la musique dont ils sont héritiers est toujours extrêmement stimulant. Depuis une vingtaine d’années, les étudiants des conservatoires français se réunissent pour former l’enthousiasmant Orchestre Français des Jeunes. Le public parisien retrouve cette formation, par nature en perpétuel mouvement, dans des œuvres de Connesson, Mendelssohn, Debussy et Dvořák.
Si La mer, malgré de beaux échanges entre pupitres et, notamment, une franche unité des bois, ne bénéficie pas d’une interprétation suffisamment subtile pour rendre avantageusement compte de l’écriture de Claude Debussy, l’évocation maritime de l’Ouverture Op.27 de Félix Mendelssohn convient nettement mieux au tempérament de Jesús López Cobos, ce soir particulièrement romantique et même savoureusement pré-wagnérien. Inspirée par deux poèmes de Goethe, ces Mer calme et voyage heureux pourraient aussi bien se prétendre héritiers de Caspar David Friedrich. La pièce est abordée avec la sensibilité attendue, dans une grande évidence.
Après une première tentative d’un Concerto pour violoncelle vite oubliée (en 1865, à vingt-quatre ans), avant le magnifique Concerto en si de 1895 pour cet instrument, déchirant hommage à sa belle-sœur mourante et à sa patrie durant les années américaines, Antonín Dvořák devait s’essayer au genre par un Concerto pour piano et orchestre en sol mineur, fort poétique mais d’un pianisme trop peu virtuose pour séduire (1876), et s’atteler trois ans plus tard à un Concerto pour violon dont l’achèvement n’irait pas sans mal. Souhaitant satisfaire l’éditeur Simrock et espérant convaincre le grand Joachim de créer l’œuvre, le compositeur en rédige une première version durant l’été 1879, qu’il soumet à l’appréciation du violoniste. Celui-ci émet quelques réserves et invite poliment l’auteur à remanier la partition. Quelque chose ne fonctionnerait pas dans l’orchestration du premier mouvement, selon lui. Avec autant d’humilité que de persévérance, Dvořák retourne à son métier, achève une nouvelle version, également refusée, et ainsi de suite, patiemment, jusqu’au 14 octobre 1883 (quatre longues années ont passé) où c’est finalement deux amis, František Ondříček au violon et Mořic Anger au pupitre, qui créent à Prague le Concerto en la mineur Op.53. Le succès est immédiat. L’œuvre est rejouée quelques semaines après la première par Hans Richter à Vienne où elle est chaleureusement saluée par Johannes Brahms qui défendit énergiquement la musique du Bohémien.
Si cette page s’ouvre par un motif gaillardement beethovénien, la lecture de Cobos affirme une identité trop clairement germanique au concerto d’un homme qui sut finement satisfaire aux canons de l’esthétique dominatrice tout en poursuivant l’exploration d’une culture nationale tchèque préalablement jalonnée par Bedřich Smetana. L’on apprécierait un jeu plus délicatement coloré. La mise en place n’est qu’honorable, malgré l’intervention de la jeune violoniste Arabella Steinbacher. Nous avions eu le plaisir d’entendre cette artiste de vingt-trois ans ici même dans Beethoven, dirigée par Mariner [lire notre chronique du 3 mars 2004] ; ce soir, elle ne peut guère présenter son interprétation de Dvořák, tant la moindre de ses propositions est contredite par la raideur d’un chef plus soucieux d’organisation que de musique. C’est fort dommage, car, outre que par moments cette tension malvenue contamine assez dangereusement la soliste, celle-ci laisse brièvement poindre des options de couleurs et de climats plus en accord avec l’œuvre. On pourra penser, cela dit, que les jeunes gens se trouvent déstabilisés par l’acoustique assez mate du théâtre – compte tenu du fait qu’ils ont donné le même programme il y a quelque jours dans l’Abbatiale de La Chaise-Dieu – et que le chef doit tenir les rênes plus serrés afin d’éviter bien des désagréments.
BB