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Chroniques
Colin Davis joue Haydn, Mozart et Nielsen
avec Nelson Freire et le London Symphony Orchestra
Après la fosse de l'Archevêché, c'est sur la scène du Grand Théâtre de Provence que nous retrouvons le London Symphony Orchestra et l'honorable (et honoraire) Colin Davis. En ouverture de programme, il a choisi la Symphonie n°99 (Hob.I : 99), l'une des londoniennes les plus sérieuses, partageant la tonalité de mi bémol majeur avec la Paukenwirbel Hob.I : 103 (Roulement de timbale). Dès l'entame, on devine aisément que le chef britannique inscrit son Haydn dans la plus pure et pontifiante tradition qui prévalait avant la révolution baroque. Le « beau son » noie les arrières plans dans un flux uniforme, sans chercher à diversifier les nuances. L'enchaînement Adagio – Vivace assai confirme la tendance générale au maestoso. Les accents traînent, à l'image du timbalier qui, d'un geste las, laisse tomber sa baguette à l'impact trop appuyé. Du haut de sa chaise pivotante, Colin Davis alterne d'un geste mou et imperturbable pizzicati de plomb et legato visqueux. L'Adagio est impossible, littéralement englué dans un tempo lénifiant qui détricote les lignes. Même les accords fortissimo semblent arpégés tant l'accent est comme détaché à force d'être appuyé. Les violoncelles se traînent dans un gris-crayeux. On marche sur des œufs, rien ne se passe. Le Ländler brucknérien du Menuetto est rapidement oublié. Seul le Finale retrouve un peu de couleurs et de subtilité. C'est bien tard.
Le salut viendra dans le Concerto pour piano en mi mineur K.466 (n°20) de Mozart, en grande partie grâce à Nelson Freire. Émergeant de la sinuosité inquiétante et fort théâtrale de l'introduction, le thème scintille avec une grâce enfantine. On oublie bien vite un accroc dans l'entrée en scène, la suite étant ciselée avec une précision remarquable, en parfaite adéquation avec la tension dramatique du propos. La qualité de rebond de la main gauche allège la phrase, la vivifie. Malgré la tentation de pesanteur du chef, le soliste maintient ses interventions hors de toute menace. De nombreuses finesses de jeu sont gommées par des accents trop affirmés ou des départs peu discrets. Le caractère classique est renforcé par le choix des courtes cadences de Beethoven. Dans le mouvement lent (Romance), le piano se tient en observateur sans jamais céder à la volonté superficielle de plaire. D'un bout à l'autre, le jeu est d'une intelligence et d'une qualité d'oreille exceptionnelles. De légers décalages d'accentuation viennent ternir la conclusion en obligeant Nelson Freire à marquer la battue pour que la netteté des fins de phrases cadre avec le format épais et musculeux de l'orchestre, délibérément plus symphonique que simplement accompagnateur.
Luxe suprême : la très aérienne et séraphique Danse des esprits d'Orphée et Eurydice, transcrite par Sgambati, bis fétiche du pianiste brésilien, en hommage à la pianiste Guiomar Novaes. S'il est permis de rêver, imaginons, dans les prochaines éditions du festival, un récital soliste au Théâtre du Jeu de paume ou dans le cloître de Saint-Sauveur...
Rien de moins prévisible que cette Symphonie n°6 « Sinfonia Simplice » de Carl Nielsen [photo, vers 1908] à l'issue d'un tel programme. Musique trop méconnue et trop rare sous nos latitudes, il faut se réjouir de pouvoir l'entendre dans une interprétation qui ne se contente pas de l'enfermer dans un intérêt purement documentaire. Signature du compositeur danois, cette musique du faux-semblant repose sur un melting pot thématique et une alternance permanente entre caractère (gai ou triste) et écriture (simple ou complexe). Les quatre notes frappées au début du Tempo giusto préfigurent un long développement thématique ménageant ataraxie et maelström d'énergies, le tout ponctué d'un frémissement argentin au triangle ou d'une phrase primesautière au piccolo. Quelque part entre Berg et Hindemith, toujours fuyante, d'une hétérogénéité étrange et antiromantique, la musique de Nielsen échappe à toute tentative de classification, ce qui est la marque des grands créateurs. L'Humoreske propose un insolite dialogue entre piccolo, triangle, caisse claire et petite harmonie et bâillement de trombone. L'orchestre se plie admirablement à l'humour pince-sans-rire du troisième mouvement (Proposta seria), sorte d'agacement d'un thème ressassé autour d'une note unique et ne parvenant pas à s'affirmer. Cette musique embryonnaire, à la fois crépusculaire et dénervée, est parcourue de luisances fantomatiques et de réponses erratiques des cuivres et cordes. Le final est une puissante démonstration sur la base formelle d'un thème et variations d'une extrême originalité, à mi-chemin entre Le chevalier à la rose et des parfums d'atonalité. Le terme variation prend ici tout son sens : tout est variant et varié, un peu à l'image des différentes facettes d'un objet prismatique vu sous différentes angles déformants.
DV