Chroniques

par bertrand bolognesi

Bach, Händel et Vivaldi
David Daniels et Les Violons du Roy

Festival de Saint-Denis / Basilique, Saint-Denis
- 3 juin 2003

Pour sa première soirée, le Festival de Saint-Denis accueille l’ensemble canadien Les Violons du Roy dans un programme équilibré qui regroupe une Ouverture en forme de danses, une séquence, un concerto et une cantate.

Dans l’ordre, tout d’abord la Suite en ut majeur BWV 1066 de Johann Sebastian Bach. Dès les premières mesures, la sonorité de l’orchestre se construit avantageusement à partir des violoncelles, aux graves somptueux. De même apprécie-t-on l’extrême précision des vents. Après une Ouverture d’un seul bloc peu attrayante, la Courante est plus finement nuancée. Notons également une élégante et délicate seconde Gavotte et des échanges contrapuntiques d’une grande lisibilité durant les deux Bourrées. Dans l’ensemble, c’est une lecture contenue que l’on entend ici.

On retrouve ensuite l’un des modèles des musiciens baroques, précurseur de certains traits chez Bach et du traitement de la voix par Händel, Antonio Vivaldi, avec une œuvre qui lui fut commandée en 1712 et créée la même année à Santa Maria della Pace de Venise : le Stabat Mater. Le texte latin de cette séquence est le même qu’on imposa à plusieurs compositeurs d’alors, tels Pergolesi, Scarlatti père et fils, et tant d’autres, attribué selon les commentateurs à Innocent III ou à Jacopone da Todi. Loin d’être un exercice facile, répondre à cette commande demandait au contraire une prodigieuse faculté de créer sous de contraintes précises.

Les Violons du Roy rendent un hommage ému à cette page, respectant fidèlement la volonté de dépouillement de son écriture. Ils tissent une sonorité un peu sourde, comme prostrée de douleur. La partie d’alto est tenu par David Daniels dont la carrière n’est déjà plus à présenter ; en quelques années, il s’illustra dans les grands rôles händéliens. Comme toujours, la phrase est bien menée et gagne en évidence et en naturel. L’émission demeure cependant étroitement directionnelle, si bien que dès que le chanteur change d’axe, elle laisse perdre une voix relativement confidentielle. En revanche, la facilité à vocaliser et à orner est incomparable.Le dernier verset est livré dans un recueillement rare que vient relever un amen virtuose parfaitement maîtrisé.

À l’automne 1739, John Walsch, administrateur du King’s Theater, lançait une souscription publique dans le but de relever quelque peu les comptes désastreux de son entreprise, après une saison boudée par le public. L’objet : douze concerti commandés à Georg Friedrich Händel. Dans une phase difficile, peu inspiré en ce qui concerne sa veine opératique, le compositeur écrit fébrilement ces pièces, selon le modèle du Concerto grosso, en à peine un mois de temps, achevant ce qui constituera son Opus 6. Nous entendons ce soir le septième de ses concerti, peut-être l’un des plus énigmatiques, avec son étrange récitatif d’orchestre préalable. C’est de loin l’interprétation la plus aboutie de ce concert. Elle rend grâce au souci de jeu et de recherche dont fit preuve l’auteur, partageant un goût qu’on retrouvera plus tard chez Haydn. La lecture de Bernard Labadie se révèle nuancée, vivante, mobile ; elle expose le drôle de thème fugué avec l’humour qui lui sied.

La soirée s’achève avec Ich habe genug, émouvante Cantate BWV 82 écrite par Bach pour la Fête de la Purification de Marie et créée à la Tomaskirche de Leipzig le 2 février 1727. La version d’aujourd’hui est celle de 1735, l’originelle s’adressant à une basse solo, la seconde à un soprano (1730) et les deux plus tardive reprenant la voix de la création mais modifiant l’orchestration et l’instrumentarium (1745 et 1748). David Daniels laisse s’épanouir sa voix avec plus de bonheur. Il articule clairement les récitatifs, disant vraiment le texte : je veux dire qu’il ne se contente pas de chanter des paroles sur des notes, mais fait sien l’étrange constat et le vœu qu’elles expriment. Plus théâtrale, le Stabat Mater avait tout pour émouvoir, mais étonnamment c’est la cantate, nettement plus abstraite, qui plonge l’assistance dans une écoute concentrée qu’on pourrait dire pieuse. L’orchestre et son chef y évoluent avec la même réserve que dans la Suite.

BB