Chroniques

par laurent bergnach

Zad Moultaka
Zajal

1 DVD L’empreinte digitale (2010)
EDVD 735
Zad Moultaka | Zajal

Depuis plusieurs années, le Libanais Zad Moultaka (né en 1967) poursuit une recherche sur le langage musical, intégrant les données fondamentales de l’écriture contemporaine occidentale aux caractères spécifiques de la musique arabe et questionnant l’histoire, la mémoire tout autant que le monde d’aujourd’hui. Après un premier parcours de récitaliste international, cet ancien élève de Madeleine Médawar et Aldo Ciccolini décide de se consacrer uniquement à la composition. Une lente maturation s’effectue de 1993 à 2003, à travers des œuvres qui interrogent la tradition et mettent d’emblée la voix en avant, comme Anashid (créé au Festival International de Baalbeck, en juillet 2000) ou Zàrani (2003).

« Opéra arabe » pour chanteuse, comédien, petit ensemble d’harmonie, percussionniste, dispositif électronique et vidéo, Zajal poursuit cette quête en relatant une soirée consacrée, vers 1909, à cette forme de poésie populaire dialectale qui donne son nom à l’œuvre – laquelle survit de façon vivace, et depuis les temps antéislamiques, au Maghreb, en Palestine, bien évidemment au Liban, etc. Joute oratoire souvent ritualisée, le zajal naît autour d’une table festive, invitant les participants à s’affronter à grands renforts d’improvisations, d’invectives et de surenchères métaphoriques.

L’argument de cette petite heure de musique est le suivant.
Longtemps parti à l’aventure, le jeune Assad Khoury el-Feghali (1894-1937), surnommé Chahrour el-Wadi (le merle de la vallée), revient au village familial un jour de noces, le visage masqué. Il souhaite participer aux joutes et le prêtre Louis el-Feghali, son propre père, éprouve d’abord sa valeur, avec des défis rhétoriques visant à la quintessence. Après un moment de répit – un épisode onirique hanté par le visage et la voix de zajalistes des années soixante et soixante-dix –, l’affrontement atteint son paroxysme, au terme duquel le fils déclaré victorieux révèle son identité.

Dans la mise en scène opérée par Moultaka lors de la création à Poitiers, les 22 et 23 avril 2010, le comédien Gabriel Yammine apparaît tel un géant sur l’écran derrière les musiciens, prêt à dévorer le présomptueux. Rompue aux techniques de l’oratorio, Fadia Tomb el-Hage encaisse durant les vingt premières minutes félicitations et thèmes imposés tortueux. À mesure que le vieux jouteur défaille, les villageois manifestent leur soutien pour l’autre car « c’est la répartie qui fait la légende ». Portant une partition sans réelles nuances – de l’aveu même de son auteur –, Philippe Nahon soutient avec vivacité son galop tendu, à la tête d’Ars Nova.

Outre un film aux textes chantés et récités en arabe dialectal libanais (disponible avec un sous-titrage français, anglais et arabe), ce DVD propose une adresse internet pour en télécharger la version audio en qualité CD.

LB