Chroniques

par laurent bergnach

Wolfgang Fortner
Bluthochzeit | Noces de sang

1 DVD Wergo (2013)
MV 0807 5
Hilary Griffiths joue Bluthochzeit (1957), opéra de Wolfgang Fortner

Issu d’une famille de chanteurs de Leipzig, Wolfgang Fortner (1907-1987) y étudie l’orgue et la composition au conservatoire (respectivement avec Karl Straube et Hermann Graubner), mais aussi la philosophie à l’université. Formant à son tour des élèves dans des institutions ou lors de séminaires – Heidelberg (1931), Darmstadt (1946), Detmold (1956), Fribourg-en-Brisgau (1957), Tanglewood (1961), etc. –, il influence la nouvelle génération des Henze, Rihm, Zender ou encore Zimmermann. Les années cinquante le couronnent de nombreux prix et voient la création de sa tragédie lyrique en deux actes Bluthochzeit, le 8 juin 1957 – prélude à un autre opéra d’après Federico García Lorca, là encore à Cologne : In seinem Garten liebt Don Perlimplín Belisa (1962).

S’inspirant d’un fait divers de 1928, le poète et dramaturge espagnol achève l’un des volets de sa trilogie rurale à l’été 1932. Bodas de sangre est créé le 8 mars 1933, à Madrid. Il semble utile d’en livrer un résumé un peu touffu – grâce à la traduction de l’écrivaine Marcelle Auclair (Gallimard, 1953) – puisque Wergo ne propose qu’un sous-titrage anglais à cette production filmée à l’opéra de Wuppertal, au tout début 2013.

Lorsque son fils part à la vigne, la Mère maudit le couteau qu’il emporte, elle dont mari et fils aîné furent assassinés par la famille Félix. Ils parlent de la Fiancée fréquentée depuis trois ans et qu’ils vont demander en mariage bientôt. Restée seule, la Mère reçoit la Voisine qui lui parle de la Fiancée, vingt-et-un ans, qui fut un temps celle de Léonard Félix, quand elle en avait quinze. Ce dernier vient d’épouser une cousine à elle, chez qui se passe le tableau médian. La Femme s’étonne des cavalcades de Léonard du côté des causses et lui apprend le prochain mariage de sa parente. L’Acte I s’achève sur la demande en mariage. À tour de rôle, Mère et Père vantent patrimoine et enfant. L’aînée rappelle à la cadette que le mariage, « c’est un homme, des enfants et un mur épais de deux mètres entre [s]oi et tout le reste ». Dehors, Léonard rôde à nouveau autour de la maison.

Acte II. C’est le jour des noces. Léonard reproche à la Fiancée son propre mariage malheureux et d’avoir fuit sa pauvreté. Les parents évoquent leurs petits-enfants à venir. La Servante cache dans le buffet du jambon pour la nuit des époux. Au moment du bal, la Femme annonce la fuite de la mariée avec Léonard, « serrés l’un contre l’autre ! Soufflant la même haleine ! ». Terrifiée par l’heure du sang revenue, la Mère lance pourtant son fils à leurs trousses.

Acte III. Trois bucherons imaginent la fuite des amants, leurs caresses, leur mise à mort. La Lune et la Mendiante interviennent aussi, puis le couple adultère, résigné aux conséquences. Les rivaux s’entretuent et la Fiancée, « catin et pucelle », vient confesser la douleur de sa passion à la Mère, dont elle attend qu’elle la tue. Les trois veuves pleurent à genoux.

Ce drame au naturalisme poétique, Christian von Götz l’installe dans l’expressionnisme, sans tenir compte d’une musique déjà expressive. Si séduit l’idée d’une Mère confrontée au Démon qui la chevauche avec récurrence – la danseuse Verena Hierholzer –, on aime moins celle d’en faire une égarée geignarde. De même, on déplore le machisme exacerbé de Leonardo, les tortures d’une Servante à sa maîtresse, une noce aux allures d’orgie (tripotages et bitures), sans parler de quelques voisines le bras piqué d’une seringue… Le pire reste les baisers de Leonardo à la Fiancée, désamorçant la tension qui justifiait la fugue.

En surplomb de la scène, derrière la façade d’immeuble imprimée sur une toile translucide – adieu, monde paysan ! –, Hilary Griffiths dirige le Sinfonieorchester Wuppertal. La partition de Fortner n’est pas impérissable mais sait installer des climats. Sans style particulier, elle fait entendre l’influence de la Seconde école de Vienne, mais aussi Weill ou Bernstein. Mêlé de Sprechgesang, le chant est confié à une distribution sans séduction particulière mais efficace : Dalia Schaechter (Mère), Banu Böke (Fiancée), Joslyn Rechter (Servante), Miriam Ritter (Femme), Cornelia Berger (Belle-mère), Annika Boos (Fille), Thomas Laske (Leonardo) et Martin Koch (Lune), etc. Les comédiens Ingeborg Wolff (Voisine, Mendiante), Gregor Henze (Fiancé) et Stephan Ullrich (Père) leur donnent la réplique.

LB