Chroniques

par bertrand bolognesi

Wolfgang Amadeus Mozart
Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro

1 DVD Bel Air Classiques (2006)
BAC 017
au Théâtre des Champs-Élysées en juin 2004

Intelligemment filmée au Théâtre des Champs-Élysées en juin 2004 par Pierre Barré qui sait créer à l'écran un certain rapport avec le plateau, ses proportions et perspectives tout en invitant au voyage à l'intérieur du dispositif et des situations grâce à l'emploi judicieux d'angles choisis, la production de Jean-Louis Martinoty ne parvient cependant toujours pas à convaincre. Si l'option générale s'avère simple – toute l'action a lieu dans la chambre qu'Almaviva cède au couple de domestiques –, l'encombrement de sa réalisation entrave la dynamique théâtrale. L'imagination est invitée à voir ici une pièce ayant sans doute servi de débarras durant des années, où furent entreposés livres, tableaux et divers objets dignes d'un cabinet des curiosités (crabe sec, petit crocodile empaillé, cadre à papillons, etc.). La surcharge occasionnée contredit l'inventivité situationnelle et n'engendre qu'une mise en scène balourde manquant cruellement de rythme, fort luxueusement décorative (Hans Schavernoch) et passant allègrement à côté des implications sociopolitiques du texte. On résumera les seuls avantages de cette proposition à une lumière (Jean Kalman) d'une chaude couleur et à l'inquiétude bien vue qu'elle laisse planer sur le final du troisième acte.

En revanche, on se réjouira de pouvoir goûter la direction endiablée d'un René Jacobs taquin qui, dès l'ouverture, impose une vision contrastée qui n'aura de cesse de se tendre toujours plus au fil de la représentation, sans nuire pour autant à l'impact mélodique de cette musique dont elle souligne les évolutions climatiques dans un train d'enfer. Le résultat, toujours fabuleusement théâtral, est d'une effervescence confondante.

Quant au plateau vocal, quatre au moins des protagonistes livraient des prestations évidentes : Basilio, Barbarina, Almaviva et Figaro ; nous y reviendrons… Si le Bartolo d'Antonio Abete se montre parfaitement efficace malgré un jeu fort appuyé, on regrettera la piètre Marcellina de Sophie Pondjiclis, presque toujours engorgée, accusant de vertigineuses interrogations quant à la hauteur des sons émis, révélant un jeu globalement extérieur qu'une diction paresseuse vient embrouiller d'autant. Angelika Kirchschlager joue un Cherubino attachant, véritable obsédé sexuel que l'on soupçonne malpropre, habitant son Voi che sapete comme jamais ; mais il faudra bien avouer un bas-médium parfois mis à mal et un grave trop souvent détimbré. La Comtesse d'Annette Dasch entretient l'ambiguïté d'un désir presque insoutenable auquel tout le personnage semble soumis, très largement au bord du précipice ; la couleur vocale est riche, le legato somptueusement nourri, la présence scénique satisfaisante, mais le placement n'est pas toujours bien assuré, de sorte que Dove sono i bei momenti (Acte III) souffre quelques approximations. Enfin, outre qu'elle se perd en d'incessantes minauderies, Rosemary Joshua est une Susanna d'un format étroitement confidentiel qui laisse hésiter son émission selon les seuils de la tessiture, ce qui perturbe énormément l'écoute et jusqu'à l'identification du rôle qui, du coup, semble d'une fragilité psychologique incongrue.

Passons aux bonnes choses ! Enrico Facini compose un Basilio sinueux à souhait, d'une rondeur presque efféminée qu'il épice d'un chant précis et ferme à l'accentuation intelligente. Fiable, agile et fraîche, la Barbarina de Pauline Courtin se montre gracieuse et souple sans la moindre mièvrerie, livrant un air de l'aiguille (début du quatrième acte) remarquable. Almaviva est magistralement incarné par le cuivre généreusement projeté de Pietro Spagnoli qui affirme une cordiale santé vocale. Et c'est Luca Pisaroni qui fait les délices de ce DVD en donnant un Figaro vaillant, corsé, dont le fiable ancrage timbrique n'a d'égal qu'une expressivité alerte qui rendra sa jalousie du dernier acte plus émouvante qu'on s'y serait attendu.

BB