Chroniques

par katy oberlé

Wolfgang Amadeus Mozart
airs d’opéra

1 CD Sony Classical (2015)
88875061262
À Stockolm en 2014, le soprano Dorothea Röschmann chante Mozart

Si son récital de Lieder, paru l’automne dernier chez Decca, n’avait pas pleinement convaincu [lire notre critique du CD], la sélection d’arie mozartienne de Dorothea Röschmann est un enchantement sans cesse renouvelé ! Loin du florilège en catalogue, du genre de celui que Karina Gauvain livrait récemment [lire notre critique du CD], l’enregistrement présent, capté en live en novembre 2014 à Stockholm, enserre judicieusement un air de Don Giovanni et deux des Nozze di Figaro dans une trame ombragée que constituent des extraits de La clemenza di Tito et d’Idomeneo, re di Creta : un opus des débuts et un autre de la dernière année vécue par Wolfgang Amadeus Mozart encadrent donc trois tubes qui empruntent à la trilogie Da Ponte, témoignage attendu du génie du compositeur.

Les atouts sont de taille et auraient pu précipiter le soprano allemand dans l’anecdotique, sinon dans l’erreur : un répertoire que tout le monde garde sur le bout de la langue, où il est donc malaisé de s’imposer après les grandes dames d’autrefois, un excellent orchestre, avec lequel il faut non pas rivaliser mais grandir, enfin un chef qi atteint actuellement sa maturité artistique sans être déjà de ces doux daddies veillant avec une bienveillance inimitable à optimiser les efforts des chanteuses. Pari tenu, pari gagné !

L’impératif des premiers accords de l’accompagnato de Mi tradi quell’alma ingrata (Don Giovanni) trahissent l’influence bénéfique des lectures « baroqueuses », à travers une vivacité confondante, puis un cantabile poignant. Daniel Harding construit le suspense, à la tête d’un Sveriges Radios Symfoniorkester superlatif. L’aria surgit alors dans un élan réjouissant qui, à lui seul, montre les grandes possibilités expressives dont l’organe de Dorothea Röschmann est doté. Elvira probante, donc, comme souligné à Berlin il y a quelques mois [lire notre chronique du 18 octobre 2013], mais aussi Comtesse honorable, au fil de deux arie bien connues : le tendre Porgi, amor, qualche ristoro du premier acte, ici véritable bijou technique, mêlant un rien d’acidité de la voix à une chaleur soigneusement entretenue, vers un aigu évident et béni. Suit Dove sono i bei momenti de l’Acte III où les cordes suédoises se font encore plus douces. Là, doute et passion emportent bravement la voix vers le meilleur.

À vingt-cinq ans, Mozart écrivait Idomeneo, créé à Munich durant l’hiver 1781. Deux personnages se disputent le gosier de Röschmann. D’abord Elettra, avec un D'Oreste, d'Aiace (III) profondément tragique, précédé par un haletant récitatif, furieux. Rien que pour cette gravure-là, précisément, l’Anaclase! est de rigueur. La cavatine décoiffe ! Plus loin, c’est la fille de Priam que le soprano incarne : l’Ilia des Zeffiretti lusinghieri (même acte), qu’accompagne une fosse très moelleuse, comme il se doit.

Juste après la création à Vienne de Così fan tutte arrive la maladie : on administre des doses de mercure au jeune génie autrichien, atteint du mal napolitain, sans savoir que c’est le vouer plus rapidement à sa perte. Il travaille conjointement à trois œuvres : le Requiem qu’il ne mènera pas à terme, Die Zauberflöte dont il verrait encore la première deux mois avant de disparaître, enfin La clemenza di Tito, opéra créé à Prague et dont l’invention audacieuse, dans le respect du modèle seria, ne cessera sans doute jamais de fasciner. Très applaudie en Vitellia [lire notre chronique du 21 août 2006], Dorothea Röschmann retrouve dix ans plus tard une incarnation qui lui va magnifiquement. Son Deh, se piacer mi vuoi (I) conjugue théâtre et musicalité, avec un grave nourri, superbe ; dans les rodomontades de clarinette, Ecco il punto (II) alterne les affects – l’occasion de révéler de nouvelles couleurs vocales.

L’album se termine sur un air de concert, Bella mia fiamma K.528, lui aussi livré à Prague (1787). Rien ici des excès d’une Bartoli : notre soprano mène les climats tourmentés de l’œuvre avec une noblesse jamais démentie, main dans la main avec le chef. On en redemande !

KO