Chroniques

par pierre-jean tribot

Wolfgang Amadeus Mozart
La clemenza di Tito | la clémence de Titus

2 DVD Opus Arte (2006)
OA 0942 D
production signée par le couple de metteurs en scène Karl-Ernst et Ursel Herrman

L'édition DVD de cette production de La Clemenza di Tito amène une diffusion mondiale à un spectacle que l'on peut désormais qualifier d'historique. En 1982, Gerard Mortier, alors jeune directeur du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles, offre au couple de metteurs en scène Karl-Ernst et Ursel Herrmann l'opportunité de se frotter, pour la première fois, à un ouvrage lyrique. Avec l'aide du chef d'orchestre Sylvain Cambreling, ils jettent leur dévolu sur le dernier opéra de Mozart, passablement dénigré. Effectuant un véritable travail de fond sur les récitatifs, alors considérés comme une parenthèse dans l'action, les scénographes proposent une vision révolutionnaire par son traitement de la progression narrative. Dès lors unanimement acclamé, leur spectacle va devenir la signature artistique de Gerard Mortier qui, outre une fascination pour cette réalisation, projette dans cette œuvre sa conception toute personnelle du message politique de l'opéra. Directeur du Festival de Salzbourg, le Gantois produira « sa » Clemenza sur les rives de la Salzach, avant de la proposer lors de la saison inaugurale de son règne parisien.

Force est de constater qu'en dépit du poids des ans, le spectacle reste diablement efficace et donne une leçon de direction d'acteur à de nombreux metteurs en scène. Tout comme Bob Wilson, les Herrmann possèdent un style bien particulier : contrastes blanc/noir, limitation des accessoires à quelques objets dont l'éternel œuf, imposants costumes pour les hommes, petites robes à fleurs et socquettes pour les femmes. Les mouvements sont stylisés à l'extrême et l'ensemble éminemment esthétisé s'avère sublime à regarder, en dépit des systématiques gros plans sur le visage des chanteurs que nous impose le producteur d'Opus Arte.

La distribution est écrasée – et le mot semble faible – par le Sesto de Susan Graham. Son timbre souverain, sa musicalité parfaite et son engagement dramatique total font de chacune de ses interventions un véritable état de grâce. Christoph Prégardien, plutôt inattendu en Tito, ne possède certes pas l'amplitude qu'exige le rôle, mais un artiste d'une telle probité sait transformer ses défauts en qualités pour livrer une prestation convaincante, tant musicalement que scéniquement. Souvent distribuée à l'Opéra de Paris, Hannah Esther Minutillo est une Annio engagée, légère et stylée. On sera plus réservé sur le chant impeccable de Catherine Naglestad à laquelle il manque une véritable personnalité musicale pour transcender le personnage de Vitellia. Fidèle de la Grande Boutique, Roland Bracht est un bon Publio, mais lui aussi manque de charisme. La Servilia de la charmante Ekaterina Siurina n'appelle aucune critique, tout comme les Chœurs de l'Opéra national de Paris. La bonne surprise vient de la direction de Cambreling : les représentations nous avaient laissé le souvenir d'une battue brouillonne et saccadée, or ce DVD présente une conduite, certes assez aride, mais attentive au chant et à la fluidité du discours.

En bonus, le coffret offre un documentaire de près d'une heure qui malheureusement se limite à un montage alternant entretiens avec l'équipe artistique et extraits du spectacle. À l'image d'un Sylvain Cambreling, étrangement survitaminé, tout ce beau monde s'évertue à montrer l'importance et l'originalité de l'œuvre. En 1982, ce reportage se serait révélé salutaire, mais en 2006, plus personne n'ose contester la valeur artistique de la partition.

PJT