Chroniques

par bertrand bolognesi

Vladimir Jurowski et le London Philharmonic Orchestra
Berg – Mahler – Wagner

2 DVD Idéale Audience International (2007)
3056808
Vladimir Jurowski joue Berg, Mahler et Wagner

C’était le 19 septembre 2007, au Royal Festival Hall (Londres) : le jeune chef russe Vladimir Jurowski scellait sa prise de fonction à la tête du London Philharmonic Orchestra par un concert mémorable consacré à Wagner, Berg et Mahler. Si le public parisien put récemment appréhender le musicien qui dirigeait un concert Brahms et Tchaïkovski, rappelons ses prestations remarquables dans Eugène Onéguine à l’Opéra Bastille et à la barre de l’Ensemble Intercontemporain [lire notre chronique du 8 décembre 2003].

D’un geste précis, Vladimir Jurowski ouvre le Prélude de l’Acte III de Parsifal de Wagner en un mouvement large qui ne traîne pas. Tout en dessinant soigneusement les différents plans, il fait naître avec beaucoup de souplesse le trait de trompette. Élégante par ses fondus subtils, sa lecture s’avère recueillie, épanouissant sans excès la solennité chorale des sections de cuivres. La tension dramatique point grâce à un fin travail dynamique, menant peu à peu l’expressivité vers la lumière où la page s’achèvera dans une contagieuse sérénité.

S’il n’est pas donné chaque jour d’aller écouter l’Opus 6 de Berg, il est encore plus rare qu’on en filme l’exécution. Programmer cette œuvre – qui, bien que comptant déjà quelques quatre-vingt-treize printemps, n’en demeure pas moins d’une évidente modernité – dans un premier concert officiel pourrait bien faire figure de manifeste, lorsqu’on sait que le chef ne néglige pas la musique de son temps.

Jurowski accentue le mystère du farouche Präludium, appuyant peu les contrastes. Sa conception favorise une profondeur de ton d’où surgit un grand lyrisme. À la faveur d’un tactus à peine mobile, un souffle particulier traverse le tableau, se colorant dans les oppositions de timbres. Le chef met en valeur les entrelacs mélodiques de Reigen, livrant toute la richesse de détail de l’écriture, jusqu’à l’irrésistible arrivée du motif dansé. On admirera le haut niveau d’exécution de la philharmonie londonienne. Une saine fermeté d’articulation affirme ensuite la Marsch, d’une stimulante tonicité qui ne dédaigne pas les aspects chambristes de la partition.

Double hommage – à Mahler et à Schönberg –, les Drei Orchesterstücke Op.6 de Berg sont judicieusement placées au centre d’un menu en trois actes, ouvert par le testament wagnérien et conclu par l’avènement d’un compositeur de vingt ans à la grande symphonie de Lieder, Gustav Mahler. Dans un frémissement savamment dosé, Jurowski cisèle la Waldmärchen qui amorce Das Klagende Lied donné dans sa version originale de 1880. Le précieux équilibre permet de goûter toutes les délices de ce commencement, avant que s’imposent de plus sévères ruptures. Der Spielmann s’annonce vigoureusement héroïque dès les premiers pas, faisant sonner déjà des audaces partagées avec l’Adagio de la Dixième. Profitant des couleurs de l’orchestration, soulignant les superpositions de cuivres où l’on croit entendre Ives, le chef magnifie également la tendresse des cordes. Enfin, Hochzeitsstück s’inscrit dans une tout autre fermeté de contrastes.

Au ténor quelque peu serré de Michael Hendrick répond le phrasé épique du baryton Anthony Michaels-Moore dont la couleur séduit d’emblée. La rondeur de timbre et la simplicité d’un chant bien mené, malgré un grave un rien exsangue, signent la prestation de Hedwig Fassbender (mezzo-soprano). Enfin, la voix souple et gracieuse de Marisol Montalvo, excellente Lulu à Toulouse [lire notre chronique du 2 février 2003], éclaire avantageusement Das klagende Lied d’aigus fulgurants, toujours en bonne intelligence avec le texte, ici servi par une expressivité incontournable. Saluons également un chœur vaillant, soigneusement nuancé, et la fiabilité du soprano garçon, David Christopher Ragusa.

Incontestablement, le réalisateur Rhodri Huw n’est pas indifférent aux œuvres jouées ce soir-là. Ses prises de vue et son montage servent discrètement chaque partition, ni trop ni trop peu. Outre une interview conséquente (mais sans sous-titres) de Vladimir Jurowski, cette production Medici Arts (Idéale Audience) propose un second DVD dans sa boîte : il s’agit du même film dont l’image principale s’agrémente d’un rectangle témoin où suivre toute la gestique du chef (un gadget qui rencontrera peut-être amateurs…).

BB