Chroniques

par laurent bergnach

Vicente Martin y Soler
Il burbero di buon cuore | Le bourru au cœur généreux

2 DVD Dynamic (2009)
33580
Il burbero di buon cuore, opéra de Vicente Martin y Soler

Entre une période italienne – qui lui apporte une solide réputation dans les genres serio et buffo – et une retraite à Saint-Pétersbourg, l'Espagnol Vicente Martin y Soler (1754-1806) trouve à Vienne l'occasion de toucher le monde lyrique européen. En effet, dans la ville de l'empereur Joseph II, Martini lo Spagnolo se partage avec Mozart les services de Lorenzo Da Ponte, et tandis que Le Nozze di Figaro et Don Giovanni voient le jour, le public découvre durant la même période Il Burbero di buon cuore, Une Cosa rara (1786) et L'Arbore di Diana (1787).

Dramma giocoso créé avec succès le 4 janvier 1786 au Burgtheater, ce premier titre s'inspire du Bourru bienveillant, pièce de Carlo Goldoni. On y découvre les amours contrariées de Valerio et de la toute jeune Angelica déchirée par deux projets de ses proches : celui de son frère ruiné qui veut l'envoyer au couvent pour économiser sur la dot et celui de son oncle qui lui destine comme époux un de ses amis presque trois fois plus âgé qu'elle… Bien entendu, le dénouement sera heureux, grâce à la générosité enfin affichée du rôle-titre.

Parce que la pièce explore un univers bourgeois, loin des bouffonneries de l'opéra napolitain que Da Ponte n'apprécie pas, certains jaloux lui prédisent un échec – « cela ne ferait pas rire ». En choisissant un décor unique hyperréaliste – un hall d'hôtel où l'on découvre la vie des propriétaires (partie d'échecs, repassage, etc.), dans un bric-à-brac de meubles hétéroclites –, Irina Brook prouve que le développement de l'intrigue, sans longueurs inutiles, n'a pas besoin de béquilles, de surenchère ou d'exotisme pour captiver le spectateur.

Les chanteurs de cette coproduction entre Barcelone et Madrid, filmée dans la capitale espagnole en novembre 2007, surpasse en nombre et qualité leurs consœurs. Si Carlos Chausson chante un peu brutalement, en accord avec son personnage, il côtoie de jeunes artistes plus délicats : Juan Francisco Gatelli (Valerio à l'aigu sain et facile, précis même dans le récitatif), Saimir Pirgu (stable Giocondo, esclave de sa femme), Luca Pisaroni (Dorval très impacté, large et sans affectation) ainsi que Josep Miquel Ramón (Castagna nuancé et sonore, qui se contente de « sobres désirs »).

Véronique Gens vole la vedette à Cecilia Diaz (bonne comédienne) et à Elena de la Merced (Angelica d'abord mièvre, qui gagne en assurance et agilité) ; elle offre ampleur et legato magnifique à sa Madama Lucilla, personnage complexe entrevue d'abord comme vaniteuse et capricieuse, que l'on découvre toute prête à défendre le bonheur de sa belle-sœur et dont le rire se révèle communicatif. Alors tant pis si, avec elle, « les revenus d'un mois s'en vont en un seul jour » !

Enregistré en première mondiale, ce spectacle subtil vaut aussi le détour par la présence de Christophe Rousset. Soulignant l'action d'un pianoforte amusé, le musicien mène avec vivacité, précision et couleurs l'Orquestra Sinfónica de Madrid aux cordes élégantes.

LB