Chroniques

par laurent bergnach

Steve Reich
Différentes phases – Écrits (1965-2016)

La rue musicale (2016) 480 pages
ISBN 979-10-94642-12-2
Recueil des écrits de Steve Reich, de 1965 à 2016

Mis en chantier à l’occasion des quatre-vingts ans de Steve Reich, le présent ouvrage a pour source principale deux éditions originales de ses écrits, Writings about music (1974) et Writings on music, 1965-2000 (2002). Il vient compléter, avec de toutes nouvelles traductions, une première édition française parue chez Christian Bourgois en 1981. Outre une cinquantaine de notices d’œuvres, couvrant un demi-siècle et rédigées par le compositeur lui-même, on trouve ici les grandes étapes, personnelles et artistiques, de celui qui est devenu l’icône d’une culture sonore globalisée.

Né en 1936, Steve Reich n’a pas un an quand ses parents divorcent. Entre deux et cinq ans, « quatre jours en train, deux fois par an », le petit garçon et sa gouvernante Virginia voyagent entre Los Angeles et New York. Cette garde alternée lui inspirera plus tard une de ses pièces emblématiques (Different Trains, 1988). À l’âge de quatorze ans, il découvre la batterie, ce qui lui permet de gagner sa vie dans des groupes pendant des études de philosophie à la Cornell University (New York). Reich intègre également la Juilliard School et commence l’apprentissage de la composition en revenant au piano. Durant les années soixante, entouré de disques de jazz, le jeune homme lit le musicologue Arthur Morris Jones et les poètes Charles Olson, Robert Creeley, mais surtout William Carlos Williams qu’il aime depuis l’adolescence (The Desert Music, 1984). En 1963, il obtient un Master of arts au Mills College (Oakland), une école où Luciano Berio l’encourage à écrire de la musique tonale. C’est la fin de sa « formation occidentale ».

Toujours en 1963, un emploi de chauffeur de taxi lui permet de créer son premier ensemble, consacré à l’improvisation libre. L’année suivante, Reich divorce à son tour et enregistre, à San Francisco, un prêche du frère Walter qui ouvre ses premiers travaux sur le déphasage, un procédé qu’il découvre par accident (It’s Gonna Rain, 1965), alors qu’il cherche à sublimer « la mélodie de la parole ». À New York où il retourne vivre fin 1965, ses travaux sur les bandes magnétique lui donnent l’impression d’être « un savant fou coincé dans un laboratoire ». Il rêve alors de musique instrumentale, produite en concert (Piano Phase, 1967). Dès la fin 1966, il répète et joue sa musique avec un trio qui se produit durant quelques années. La présentation d’une œuvre qui nécessite un générateur d’impulsions à phase variable (Pulse music, 1969) – lequel manque de souplesse – confirme son penchant pour la percussion et la nécessité d’intégrer l’humain (Four Organs, 1970).

Été 1970, Reich séjourne au Ghana pour étudier le tambour (Drumming, 1971). Son ensemble s’élargit et devient Steve Reich and Musicians (1971), lui permettant bientôt de vivre de son art. Trois ans plus tard, il étudie une variante du gamelan balinais nommé semar pegulingan, avec un musicien en résidence à Seattle. Lui-même connaît une brève résidence à Berlin, avec la complicité de Ligeti (1974). En 1975, l’étude de l’hébreu et de la Torah, à la synagogue de Lincoln Square, prélude à celle de la cantillation des Écritures, si inspirantes (Octet, 1979 ; Tehillim, 1981). À l’occasion de sa première commande, il commence à s’intéresser à l’orchestre (Music for a Large Ensemble, 1979), puis débute une série d’œuvres autour de la notion de contrepoint (Vermont Counterpoint, 1982). Dix ans plus tard verront le jour des opus multimédias conçus avec son épouse, la vidéaste Beryl Korot (The Cave, 1993 ; Three Tales, 2002), marquées par des interrogations sociales et religieuses. Enfin, le 11 septembre 2001, la famille Reich vit dans l’angoisse les attentats du World Trade Center (WTC, 2010).

Tous ces éléments apparaissent au sein d’une trentaine de textes théoriques, hommages et entretiens qui soulignent l’intérêt de l’Américain pour « une musique dans laquelle le processus de composition et le rendu sonore ne font qu’un », largement fondée sur le canon. D’instinct attiré par la musique d’avant 1750 (Léonin, Machaut, Pérotin) et d’après Debussy (Bartók, Stravinsky, Weill, etc.), le compositeur s’avoue rétif à l’art sériel, avec ses « mécanismes dissimulés », aux caprices du hasard chers à John Cage comme à ceux de la transe et, bien sûr, à l’exotisme d’un ensemble d’Afrikanische Musik. Comme d’autres compatriotes (mais aussi Andriessen ou Pärt, fort appréciés par Reich), il défend un art de l’écoute en rupture avec les traditions (orchestre romantique, bel canto, etc.), qui allie légèreté et concentration, parfois avec du matériau documentaire (Come Out, 1966 ; Daniel Variations, 2006 ; etc.), souvent avec des moyens très simples (Clapping Music, 1972).

LB