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Chroniques
Simon Rattle et le City of Birmingham Symphony Orchestra
Musique orchestrale au XXe siècle (vol.4 | Three journeys... )
La série Orchestral music in the 20th century, qui reprend la leçon de musique télévisée de Simon Rattle à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, est composée de sept DVD qui permettent un tour d'horizon quasiment complet de la question. Rattle ratisse large et, en sept heures, parvient à nous révéler les secrets de compositeurs aussi différents que Strauss, Henze, Berio, Boulez, Stravinsky, Chostakovitch, Bartók ou Stockhausen, dans le cadre d'explications parfois un peu austères de cinquante-deux minutes chacune, rassemblées en thématiques transversales.
Les volumes 4 et 5 [lire notre critique du DVD] se répondent logiquement et forment un ensemble déjà très cohérent : Three journeys through dark landscapes (Trois voyages en territoires obscurs) explore la musique issue d'Europe de l'Est à travers les œuvres de Chostakovitch, Bartók et Lutosławski, alors que The american way visite celle du monde libre via les grands Américains, dont Gershwin et Copland. On peut se réjouir d'une telle approche un peu schématique de l'histoire de la musique classique du XXe siècle, calquée sur l'histoire de la guerre froide qui a structuré la seconde moitié du siècle dernier, car elle clarifie certainement les choses et offre une grille pédagogique simplifiée ; mais on peut aussi regretter une telle opposition frontale, rideau de fer musical, qui néglige certains détails de l'histoire (des œuvres de Prokofiev écrites aux USA, Rachmaninov mort à Los Angeles, des compositeurs soviétiques non dissidents, des compositeurs américains communistes, etc.).
Dans le volume 4, l'approche de Rattle de la musique du bloc de l'Est est simple : les compositeurs, sous le joug de pressions politiques diverses, ont eu à se défendre et à résister pour imposer leur personnalité artistique par-delà les diktats de la propagande. L'originalité de son propos est de ne pas se limiter à la Russie soviétique, mais d'élargir à la Hongrie de Bartók et à la Pologne de Lutosławski. Bartók est une figure de l'exil, pour Simon Rattle : obligé de quitter sa terre natale après l'arrivée au pouvoir d'un régime dictatorial, le compositeur est contraint à un définitif exil américain. À travers l'analyse de l'opéra de jeunesse du compositeur, Le château de Barbe Bleue (il n'avait que 29 ans), le chef souligne l'attachement de l'auteur à la musique populaire et traditionnelle de son pays, qu'il utilise largement dans ses opus. Bartók est, pour Rattle, une figure de la tension entre modernité et tradition, entre vieille Europe et Amérique. Concernant la Musique pour cordes, percussions et célesta, Rattle a une intuition passionnante : les cordes n'imitent plus traditionnellement les inflexions du chant, mais de la parole humaine. L'orchestre bartokien, exilé dans une Amérique incompréhensible de mutation et de bouleversements, tient un discours humain, une forme de plainte. Et qu'est-ce qu'il raconte ? Il parle du mal du pays, évidemment. Dans l'ultime Concerto pour orchestre, le compositeur, miné par la maladie, rongé par l'exil, revient aux motifs musicaux traditionnels hongrois, qu'il réécrit, déstructure jusqu'à l'inaudible, tout en autocitant des extraits du Barbe Bleue de sa jeunesse.
Dans le bloc de l'Est, Dmitri Chostakovitch est une figure de la vérité. Entendons : de la recherche de la vérité dans un contexte de mensonge institutionnalisé et de dissimulations. C'est à travers trois symphonies très différentes que Simon Rattle offre un tour d'horizon rapide mais émouvant de l'œuvre du compositeur soviétique. Avec la 4ème Symphonie, il souligne le modernisme et l'idéalisme de jeunesse. Avec la 5ème, il montre que le musicien a su instiller une part de géniale subversion dans un cadre politique et culturel imposé. Rattle, pour finir, s'attaque au complexe monument qu'est la 14ème Symphonie pour orchestres et voix solistes. Œuvre sombre, mahlérienne, la 14ème est pour le chef un acte de subversion total, puisqu'elle ose s'attaquer au tabou ultime de toute culture politique de l'édification idéaliste et optimiste : la mort. La mort, aussi, comme règle du jeu de toute dictature : Rattle fait défiler toute une litanie de noms de poètes et artistes soviétiques éliminés ou réduits au silence par le régime pour cause de non respects des dogmes…
La dernière figure est Lutosławski, compositeur polonais sous le joug – lui aussi – d'un régime satellite de l'URSS. À la différence de Bartók qui faisait des efforts importants pour réintégrer la musique populaire dans ses œuvres, Lutosławski se charge de rompre subtilement avec cette fascination de l'ancien, à partir du milieu des années quarante. À travers l'analyse d'extraits courts de plusieurs de ses œuvres du compositeur – Concerto pour orchestre, Jeux vénitiens et Symphonie n°3 –, Simon Rattle souligne la modernité de Lutosławski, influencé à la fois par toute une tradition musicale polonaise, mais aussi par John Cage. Par ailleurs Rattle nous gratifie de quelques anecdotes personnelles et émouvantes sur ses propres rencontres avec le compositeur.
FXA