Chroniques

par hervé könig

récital Trio Nobis
Bax – Debussy – Matalon – Ravel – Satie – Takemitsu

1 CD Maguelone (2003)
MAG 111.149
récital Trio Nobis | Bax – Debussy – Matalon – Ravel – Satie – Takemitsu

Alors que nous vous parlons assez volontiers de parutions liées à la musique anglaise, qu'elle soit baroque (Purcell) ou plus moderne (Elgar, Britten, Bridge), celle du Trio Nobis commence par le Trio Élégiaque d'Arnold Bax. Pour situer, Bax est né à Streatham en 1883. Il étudia le piano auprès de Tobias Matthay à partir de 1900 à la Royal Academy, puis la composition dans la classe de Frederick Corder. Passionné de littérature autant que de musique, le jeune homme voyagera de par l'Europe, pour finalement se fixer en Irlande, une terre où les poèmes de Yeats et Russell l'attireront. La musique populaire irlandaise sera d'ailleurs discrètement présente dans son écriture, tout comme ses contes et légendes. On lui doit sept symphonies, de nombreuses mélodies et chansons, un concerto pour violon, un autre pour violoncelle, des recueils de piécettes pianistiques d'inspiration ukrainienne, et plusieurs opus chambriste, tel ce Trio Élégiaque écrit en 1916 pour honorer la mémoire de quelques amis qui trouvèrent la mort lors de la répression par l'armée britannique d'un mouvement de révolte irlandais. Il n'y emprunte jamais un ton pathétique ou funèbre, l'unique mouvement ressemblant plutôt à une douce diaprure qui frappe l'auditeur par sa sérénité où quelques mélismes d'un lyrisme contenu viennent saluer avec confiance une île blessée. Les trois musiciens nous en donnent une interprétation à peine mélancolique dans la partie centrale, dans une belle clarté.

Cette formation existe depuis quatre ans. Elle se compose du harpiste Nicolas Tulliez et de deux membres de l'Ensemble Orchestral de Paris, la flûtiste Clara Novakova (de nombreuses récompenses à travers le monde) et l'altiste Joël Soultanian. Les deux premiers ont collaboré avec l'Ircam, ce qui montre leur intérêt pour la musique du XXe siècle, largement représentée ici.

Erik Satie et Claude Debussy se sont beaucoup moqué de Maurice Ravel, lui qui pourtant les tenait en haute estime. Le premier le trouve pompier et l'imagine avide d'estime officielle, le second le reconnaît doué mais le soupçonne de s'attacher à des formes anciennes par simple amour de l'artifice. La Sonatine, forme académique par excellence, avec un menuet en son cœur, leur donnerait-elle raison ? En apparence seulement, car la modernité de l'œuvre, la tension qu'elle distille, sont loin de l'esprit boîte à musique. Écrite pour piano, elle est jouée sur ce disque dans une transcription due à Carlos Salzedo, harpiste français d'origine espagnole né à Arcachon deux ans après Bax, qui après des études parisiennes et un beau début de carrière s'installerait à New York pour enseigner et composer des concertos et plusieurs œuvres dédiées à son instrument – pour lequel il fit éditer une excellente méthode qui forma plus d'un harpiste par la suite. L'articulation avec laquelle le Trio Nobis l'enregistra est tout à fait remarquable. Le troisième mouvement est délicieusement sautillant.

Le 19 mai 1992, Naoko Yoshino, Aurèle Nicolet et Nobuko Imai créaient l'énigmatique And then I knew 't was Wind de Toru Takemitsu. L'auteur s'est ouvertement inspiré de la Sonate en trio de Claude Debussy pour la rédaction de cette pièce ; les citations des parties de harpe et d'alto sont explicites, même si, au fond, cet hommage est l'occasion d'exprimer ce qui lui est propre. Les références à la nature sont nombreuses chez Takemitsu, mais ici, le vent est plutôt le symbole de l'esprit inconscient traversant la conscience humaine qu'un hymne écologique. Le bel enchevêtrement des lignes d'alto et de flûte forment un étrange couple, merveilleusement servi par le jeu complice des maîtres d'œuvre de ce disque. En 1975, à Tokyo, était créée une version transcrite par Takemitsu pour flûte et harpe du Prélude au Fils des Étoiles d'Erik Satie. Le médiévalisme de l'écriture du rosicrucien d'Arcueil est livré en toute simplicité.

Nous pouvons entendre ensuite une version en général triste du modèle du compositeur japonais : la Sonate en trio que Claude Debussy achevait en 1915, et qui devait à l'origine faire partie d'un vaste cycle de six sonates dont trois seulement auront vu le jour. Nobis rend un hommage soigné à la fantaisie angoissée du dernier Debussy.

Enfin, l'on retrouve Formas de Arena de Martin Matalon dans la même prise que celle que nous vous avons présentée il y a quelques semaines [lire notre critique du CD]. Globalement, Maguelone propose là un disque plaisant.

HK