Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Parsifal | Perceval

2 DVD Deutsche Grammophon (2017)
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Hartmunt Haenchen joue Parsifal (1882), ultime opéra de Richard Wagner

Lorsqu’elle introduit sa traduction de Parsifal, le poème de Richard Wagner (1813-1883), pour les éditions Armand Colin & Cie (1893), Judith Gauthier rappelle la naissance de cette légende en ancienne Armorique, dans les antiques contes populaires des Celtes, les Mabinogion. Dans ces quatre récits écrits en moyen gallois (XIIe-XVIe siècle), on retrouve un bassin mystérieux qui a vertu de guérir les blessures, une lance sanglante et l’action salvatrice de Pérédur. Sous l’influence chrétienne, le calice eucharistique remplace le bassin païen, donnant naissance à l’histoire du Graal. Il fallut alors créer la généalogie du Graal chrétien et, avant tout, le faire venir de Jérusalem.

On l’oublie souvent, l’Orient parcours en filigrane le festival scénique sacré créé le 26 juillet 1882. Quand elle veut ensorceler sa proie, Kundry n’évoque-t-elle pas ce pays d’Arabie où Gamuret mourant nomma son fils à naître Parsi-Fal ? Et Wagner lui-même ne prête-t-il pas une oreille à Joseph Görres (1776-1848), connaisseur du persan et éditeur d’un Lohengrin (1813), qui soutient l’origine orientale du héros célébré par Wolfram von Eschenbach ? Quoi qu’il en soit, la proposition de débaptiser Parzival intéresse le compositeur qui écrit du personnage central de son dernier ouvrage lyrique : « c’est le garçon fou, sans érudition, sans académie, ne comprenant rien que par la compassion ». Il n’est donc pas anodin que la production d’Uwe Eric Laufenberg retrouve ces racines orientales et situe Montsalvat au croisement des frontières entre Irak, Turquie, Arménie et Azerbaïdjan – en plein cœur de la très actuelle guerre de religion, précise Manuel Brug dans la notice du DVD.

Le premier acte invite dans un lieu d’asile tenu par des religieux, la pureté de leurs actions possiblement symbolisée par un Christ aux hanches nues. Bienveillante et pudique – la douleur d’Amfortas n’atteint pas au Grand Guignol, comme chez Tcherniakov [lire notre critique du DVD] –, cette communauté reçoit la visite de militaires dont se distingue le rôle-titre, bientôt plongé dans l’enfer klingsorien, avec ses danseuses voilées et ses articles blasphématoires (fouet de flagellation, crucifix à double usage). L’acte ultime retrouve l’église à coupole où Kundry dépérit désormais, privée d’énergie, à l’inverse de ce qui s’épanouit alentour (plantes, jeunes filles). Au fond du cercueil de Titurel, on dépose la lance reconquise et divers bibelots religieux, de confessions variées, comme un appel à déposer les armes [lire notre chronique du 2 août 2016].

Dans des décors et des costumes signés respectivement Gisbert Jäkel et Jessica Karge, des chanteurs solides participent à l’excellence du spectacle. Comme toujours, Klaus Florian Vogt (Parsifal) séduit par un mélange fort émouvant de délicatesse et de limpidité qui n’exclut pas la puissance. De même pour Georg Zeppenfeld (Gurnemanz) dont impact et fermeté n’empêchent pas la nuance. On aime aussi la sonorité d’un Ryan McKinny, Amfortas au long souffle, l’ampleur de Karl-Heinz Lehner (Titurel) et la vaillance enveloppante de Gerd Grochowski (Klingsor). Elena Pankratova (Kundry) réjouit également par sa plénitude colorée, sa tendre expressivité. Enfin, parmi les rôles secondaires, saluons surtout Tansel Akzeybek (Premier chevalier).

Il y a quelques années, Deutsche Grammophon immortalisait Christian Thielemann au Salzburger Osterfestspiele [lire notre critique du DVD]. C’est aujourd’hui Hartmut Haenchen qui a ce privilège, dans le cadre du Bayreuther Festspiele. Face à un orchestre aérien conduit sans lourdeur, aux pupitres remarquables d’homogénéité, le Dresdois fait montre d’une grande fluidité, n’arrêtant pas le son hors des passages qui réclament une certaine urgence tourbillonnante, comme d’aucuns aiment à le faire avec une affectation parfois risible.

LB