Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Tannhäuser

2 DVD Bel Air Classiques (2015)
BAC 122
DVD Tannhäuser Wagner, Berlin, BelAir Classiques

« J’avais onze ans et je voulais devenir poète. J’esquissai des tragédies sur le modèle des œuvres grecques, poussé par celles d’Apel : Polyidos, Les Étoliens,etc. Cela me fit passer à l’école pour un bon élève en Lettres : en troisième, j’avais déjà traduit les douze premiers livres de l’Odyssée. »

Suite au succès de Rienzi, der letzte der Tribunen (1842) [lire notre critique du DVD], Wagner livre à l’éditeur Laube les pages d’Esquisse autobiographique (1843), afin de se présenter à un large public. Ces lignes en sont extraites, où deux choses nous intéressent. Outre une aisance de longue date avec l’écriture, c’est d’abord la référence au Leipzigois Johan August Apel (1771-1816). En effet, compilant les thèmes préférés du mari de Cosima, Christophe Looten rappelle que ce dernier possède, dans sa bibliothèque de Wahnfried, trois tragédies, un ouvrage de métrique ainsi que le fameux Gespensterbuch (1811-1815), lequel ranime le thème populaire du Freischütz dans le premier de ses cinq tomes [lire notre critique de l’ouvrage Dans la tête de Richard Wagner]. Ensuite, l’allusion au texte d’Homère confirme son importance pour Wagner, dont la lecture à voix haute occupe plus d’une soirée domestique. Dès lors, on imagine l’inconscient au travail dans l’écriture du livret de Tannhäuser, avec son acte premier faisant revivre l’arrachement d’Ulysse des bras de Circé, amants provisoires découverts à l’aube de la puberté.

Plusieurs fois remanié entre la création de Dresde (19 octobre 1845) et celle de Vienne (22 novembre 1875), l’ouvrage est aujourd’hui filmé à Berlin (Deutsche Staatsoper in Schiller Theater), dans une mouture hybride : la version dresdoise agrémentée de la Bacchanale conçue pour les Parisiens (13 mars 1861) [lire notre chronique du 16 avril 2014]. Qui d’autre qu’un chorégraphe peut s’affranchir d’un décor durant trois actes, sans frémir ? En charge de la mise en scène, Sasha Waltz le réduit à une présence artificielle (rideau boisé, fumée, etc.) de laquelle se détache une vingtaine de corps, d’abord agités d’une frénésie dionysiaque – sensuelle mais pas vulgaire –, jouant avec la tradition de la danse de salon, puis cheminant avec les branchages du pèlerinage. Non seulement l’artiste allemande possède un sens évident de la musique, du rythme et de l’espace, mais elle en use sans parasiter des chanteurs qui, pourtant, ne demandent qu’à se laisser entraîner – la symbiose d’un précédent Dido and Æneas revient en mémoire [lire notre chronique du 12 février 2005].

Dans Sur la direction d’orchestre, alors qu’on lui a rapporté une Ouverture de Tannhäuser dépassant de huit minutes sa propre battue, Wagner fustigent « branquignols » et « olibrius » qui, se faufilant dans les théâtres, « s’en tiennent toujours aux mesures à quatre temps pour se persuader eux-mêmes qu’ils dirigent réellement et sont là pour quelque chose ». À la tête de la Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim apparaît inégal, une fois encore. Quelques fulgurances bienvenues ne suffisent pas à sauver une lecture lourde et grossière, pauvre en relief, riche en lenteurs.

Sur scène, outre une aisance physique qui explore la fragilité du rôle-titre, Peter Seiffert impose nuance et tranquillité ; il aborde l’hymne à Vénus avec la simplicité d’un Lied et nimbe de douceur sa révolte contre Rome. Peter Mattei (Wolfram) et Peter Sonn (Walther) font aussi preuve de délicatesse, le premier séduisant par sa santé vocale, un grain très articulé et sa proximité avec le texte. René Pape (Landgraf) ne manque pas de soutien ni de souffle. Tobias Schabel (Biterolf) et Só nia Grané (Pâtre) ne déméritent pas. Enfin, achevant de rendre ce programme recommandable malgré nos réserves sur la fosse, citons la présence de Marina Prudenskaïa (Venus), mezzo impacté d’une belle vaillance, et celle d’Ann Petersen (Elisabeth), soprano dramatique puissant, toujours sur le fil entre force et tendresse.

LB