Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme

1 DVD Opus Arte (2014)
OA 1140 D

Il demeure difficile de cerner la source d’une légende ou d’en trouver une version unique ; celle du plus célèbre des vaisseaux fantômes ne fait pas exception. Au XVIIe siècle, par exemple, un navire affrété par une compagnie néerlandaise fait la liaison si rapidement entre Europe et Asie que la rumeur circule d’un pacte avec Lucifer. Bien entendu, le bâtiment disparaît un jour sans laisser de traces, et c’est à lui qu’on pense quand des apparitions sont relatées par des marins superstitieux. Deux siècles plus tard, Dieu entre à son tour en jeu en punissant un capitaine trop zélé qui, malgré les supplications de son équipage, brave la tempête aux alentours du cap de Bonne-Espérance. Dans d’autres cas encore, ce sont des actes de pirateries qui causèrent la malédiction du navire, etc.

Pour sa part, Wagner distingue « dans cette production de l’esprit populaire un curieux mélange du caractère du Juif errant avec celui d’Ulysse » (Une communication à mes amis). Parisien à l’heure d’en tirer un livret de sa propre main, le père de Rienzi se tourne vers une légende nordique transcrite par Heinrich Heine et vers Hans Heiling, l’ouvrage de Marschner [lire notre critique du DVD]. À l’Opéra de Paris qui refuse sa musique, il cède un synopsis dont Pierre-Louis Dietsch ferait un ouvrage périssable (1842) [lire notre chronique du 21 mai 2013]. Créés à Dresde le 2 janvier 1843, au Königlich Sächsisches Hoftheater, ses trois actes romantiques remportent un beau succès – dont seraient content Meyerbeer mais fort jaloux Mendelssohn !

« Je me souviens qu’avant de me mettre à la composition de cet opéra, confie Wagner dans le livre évoqué plus haut, je conçus la Ballade de Senta et en composai aussitôt les vers et la musique. Inconsciemment, je mis en germe dans ce morceau tous les éléments musicaux de l’opéra. C’était l’image concentrée de tout le drame. Lorsque je me mis enfin à composer la musique de l’œuvre entière, l’image thématique que j’avais trouvée dans la Ballade se présenta à moi comme une trame très cohérente : je n’avais plus qu’à développer les principaux germes thématiques contenus dans ce morceau en suivant jusqu’au bout les directions qu’ils m’indiquaient d’eux-mêmes. »

Senta est le personnage-clé de la production que signait Jan Philipp Gloger à Bayreuth, voilà bientôt trois ans [lire notre chronique du 18 août 2012]. « Dans un univers totalement imprégné d’économie », elle n’est plus la contemplative qui attend son Prince, mais une artiste dans la mouvance de l’art brut, voire de l’arte povera si l’on voit dans son refus de filer celui d’une société consommatrice, dans un esprit nomade de guérilla. En détournant de leur but conventionnel les matériaux de la manufacture de ventilateurs, elle attire l’œil d’un entourage lisse et cupide vers quelque chose « de sombre, d’insondable, de profond ». Rarement l’on vit Senta et Hollandais tant marginaux, aussi complémentaires dans un spectacle qui ose l’humour.

Côté chant, Ricarda Merbeth (Senta) se montre, avec beaucoup de présence, plus souple que d’ordinaire. Samuel Youn (Hollandais) est un baryton-basse onctueux qui ne manque ni d’espace ni d’assise. Franz-Josef Selig (Daland) fait sensation, de même que le prometteur Benjamin Bruns (Timonier), ténor vaillant, clair et nuancé. Parions également sur l’avenir de Tomislav Mužek (Erik) dont la puissance et la facilité sont précieuses dans Wagner. Christa Mayer (Mary) est efficace. Enfin, si Christian Thielemann inquiète d’abord à la tête des Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele, sa dentelle ciselée à la Viennoise gagne vite en épaisseur, sans refuser grâce et tendresse. Sous-titré en anglais, l’un des quatre entretiens proposés en bonus lui donne la parole.

LB