Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Lohengrin

3 DVD Opus Arte (2006)
OA 0964 D
Richard Wagner | Lohengrin

« Mais qui est ce chevalier du Graal ? se demande Nikolaus Lehnhoff. Une marionnette, une création d'art ou un être humain capable d'aimer ? » Les réponses que propose l'Allemand dans le documentaire accompagnant cette captation du Festspielhaus Baden Baden (2006) – en copro-duction avec Lyon et Milan –, de même que les commentaires deStephan Braunfels (décorateur) et de Bettina Walter (costumière), sont bien utiles pour comprendre certaines subtilités d'une mise en scène judicieuse. Sans être transposée à une époque historique précise, son Lohengrin débute par un débat tendu au Parlement, entre officiers ; tout se joue dans le dos du peuple, éternel absent des débats politiques et – sans doute pour cela – montré comme largement manipulable, à l'Acte II. Ceci dit, l'ambiance générale évoque plus Strinberg que le Troisième Reich, de même que l'arrivée en scène du fils de Parsifal rejette toute imagerie sainte. L'amphithéâtre antique laisse place ensuite à un escalier médiéval qui grimpe vers l'infini, symbolisant l'impossible délivrance : en effet, Telramund, au plus bas des marches, à qui on fait l'aumône, ne retrouve jamais son honneur, tout comme Elsa voit son statut de femme différé suite à un mariage non consommé. Au début de l'Acte III, devant un fond bleu matérialisant l'irréalité de ce premier tête à tête entre époux, le piano (aux notes inversées) d'un Lohengrin compositeur ne passe pas inaperçu. Mais le bonheur privé semble impossible et c'est le retour à la place publique.

La chaise représente-elle le doute de la naïve Elsa, libérée du tissu qui la recouvre au moment de poser la question interdite, renversée par Ortrud lors du retour du Duc Gottfried ? Entrée sur scène comme dans une tragédie grecque, l'héroïne trouve plutôt sur ce siège, aussi modeste qu'elle, un centre de force où la vision devient réalité. C'est pourquoi on verra sa rivale, experte en manipulation et sans doute en magie noire, s'en emparer à un moment crucial, dans le but de l'empoisonner par sa présence – n'est-elle pas l'antagoniste de l'amour, comme disait Wagner lui-même ?

Peu de liberté de mouvements pour les chanteurs, si bien que, parfois, le trop d'expressivité de Tom Fox (Teralmund d'un haut-médium éclatant), le surjeu de Waltraud Meier (Ortrud aléatoire) jure avec la présence rêveuse d'Elsa, l'attitude paisible d'Heinrich et de Lohengrin. Incarnant la première, Solveig Kringelborn souffre d'un bas médium peu sonore, d'un timbre aigrelet que compense un legato généreux. En revanche, Klaus Florian Vogt est parfait dans le rôle-titre : la voix claire et pure, presque enfantine, jamais forcée ou agressive, convient idéalement à l'incarnation symbolique de l'idiot wagnérien. Hans-Peter König (Heinrich) et Roman Trekel (le Hérault) sont d'honnêtes partenaires – à l'inverse du Chœur, à la diction brouillonne, aux nuances piano bien décevantes. Kent Nagano tire une très belle couleur (notamment les cuivres) du Deutsches Symphonie Orchester Berlin, à l'aise dans les préludes lyriques ou plus musclés, allégeant jusqu'à l'élégance la Marche du tournoi, toujours au service de la noblesse d'expression.

LB